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fera point d’ailleurs difficulté de procurer à la Suède tous les avantages que la nation suédoise peut désirer. Les ports de France, de Mecklenbourg et de Prusse Seront ouverts à son commerce. »


Suivait un projet de traité en huit articles, le second garantissant la Finlande à la Suède, et le huitième comprenant cette puissance dans les traités de la France avec l’Autriche, la Prusse, les princes de la confédération germanique et la Porte.

Fier d’être courtisé, Bernadotte était, nous le savons, engagé désormais contre la France ; pour mieux perdre celui qui avait dédaigné d’être son allié et dont il voulut être le rival, il se fit une arme de la dissimulation. Il protesta, dans ses lettres à la princesse royale, de son désir a de ne point séparer les intérêts suédois de ceux de la France, pourvu que celle-ci voulût être juste envers un ancien membre de la grande famille, et de souscrire à tout ce qui porterait le caractère de la vérité et de la bonne foi ; » mais il représenta la difficulté d’opérer un débarquement en Finlande, le danger de voir ses communications interrompues par l’escadre anglaise toujours présente, enfin le défaut d’argent. « L’achat de 20 millions de denrées coloniales est illusoire, dit-il. Comment les Anglais laisseraient-ils paisiblement passer des vaisseaux sortant de ports ennemis pour se rendre dans des ports plus ennemis encore ? Si l’empereur avait voulu réellement nous favoriser, il nous aurait envoyé 20 millions, sauf à les lui rembourser après la réunion de la Finlande. »

Bernadotte n’acceptait donc pas le projet de traité ; il demandait à Napoléon des subsides effectifs et la Norvège, il offrait en même temps sa médiation entre la Russie et la France. Signeul revint de sa première mission en rapportant la fameuse lettre du 24 mars[1], qui engageait l’empereur à épargner le sang des hommes et lui offrait la médiation suédoise. Bernadotte l’avait fait lire à Signeul après l’avoir écrite : « Elle est belle et digne, mais froide, dit-il ; rien d’affectueux pour l’empereur, pas un mot des sentimens de votre altesse royale envers lui ! — Eh bien ! soit, reprit Bernadotte, on peut s’incliner devant la puissance, et si vous le croyez utile au succès de votre mission, je veux bien ajouter quelques lignes… Mais dépêchons, on m’attend au conseil !… » Et, pendant qu’il nouait sa cravate, debout devant un miroir, Bernadotte dicta à un secrétaire le dernier paragraphe : « Sire, un des momens les plus heureux que j’aie éprouvés depuis que j’ai quitté la France, c’est celui qui m’a procuré la certitude que votre majesté ne m’avait pas tout à fait oublié. Votre majesté a bien jugé mon cœur….. Sire ! je m’identifie encore avec cette belle France qui m’a vu naître,… etc. »

Signeul, de retour à Paris en avril, assurait que le prince royal

  1. Voyez toutes les histoires de Bernadotte et le recueil de ses lettres.