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Il faut qu’elle signe au plus tôt la paix avec les Turcs, dût-elle rendre la Moldavie. Elle doit ménager l’Autriche. Elle ne doit pas négliger l’avantage qui lui est offert d’avoir à la tête de ses armées le prince royal de Suède, parce qu’on peut espérer beaucoup de son influence sur les régimens français. On souhaiterait même une entrevue sans étiquette entre sa majesté impériale et le prince royal, en vue d’un engagement réciproque fondé sur la parole que se donneraient réciproquement les deux princes, l’un de ne jamais chercher à reprendre la Finlande, l’autre de mettre la Norvège sous la domination suédoise. Il faut ménager le Danemark en lui cachant ce projet. Le moment venu, on lui proposera de prendre part à cette alliance et de céder la Norvège, la Russie s’engageant à lui donner un équivalent en Allemagne, il faut être d’accord sur tout cela avec l’Angleterre, qui fera une utile diversion sur les côtes de France. Il faut exciter un mouvement général contre les Français en Allemagne, encourager la résistance de l’Espagne, de l’Italie et de la Suisse. La guerre durera au moins trois années. Aussitôt prêts, il faut attaquer. Si l’on est forcé de se retirer, il faut ravager le pays. Une règle de prudence qu’on ne doit jamais oublier en combattant les Français, c’est d’éviter autant que possible les grandes batailles, et de n’en livrer qu’avec la certitude du triomphe. Napoléon ne prendra pas sur lui de traîner la guerre en longueur; son impatience lui fera commettre des fautes dont on pourra profiter. »


Cette pièce est importante, elle est inédite et, nous le croyons, inconnue en Suède. Fut-elle composée d’accord avec Bernadotte et à quel moment précis? On ne saurait le fixer. Ce qui est sûr, c’est que, dès le milieu de 1811, elle est entre les mains du ministre de France à Stockholm, qui en envoie des extraits dans sa dépêche du 26 juillet. On est porté à croire, d’après plusieurs indices, que le chevalier Schenbom, consul-général de Suède à Saint-Pétersbourg, n’y fût pas étranger. S’il était vrai qu’Armfelt, qui devint bientôt en effet le coopérateur de Bernadotte auprès d’Alexandre, obtint dès le milieu de 1811 l’assentiment du prince, on voit qu’il faudrait faire remonter jusqu’à la même époque la conception effective et complète de la politique de 1812. Le plan d’Armfelt en indique en effet tous les principaux points : la paix ménagée d’une part entre la porte et la Russie, d’autre part entre la Russie, la Suède et l’Angleterre, une sixième coalition préparée contre la France, la Finlande assurée à la Russie et la Norvège à la Suède, une étroite amitié ménagée particulièrement entre Alexandre et Bernadotte, les talens et l’expérience de celui-ci tournés contre nous. — Quoi qu’il en soit, quel ne fut pas l’étonnement de la haute société de Stockholm, des agens diplomatiques et particulièrement de l’agent français, lorsqu’on vit paraître dans le salon, ou, comme on disait, au cercle de Mme d’Engeström, pendant la soirée du 18 décembre 1811, la comtesse d’Armfelt, devenue dame d’honneur de la cour de Russie et décorée des portraits des deux impératrices, régnante et mère! Combien l’étonnement ne