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Napoléon cependant semblait mettre de côté tous ménagemens. Tantôt[1] il menace Bernadotte de lui retirer l’appui de sa bienveillance, qui, dit-il, fait toute sa force ; tantôt il dédaigne ses avances et les laisse trop longtemps sans réponse, ou bien il fait écrire par M. de Champagny des notes méprisantes, comme celle du 26 février :

« Le prince royal, depuis son arrivée à Stockholm, a montré dans toute sa conduite et ses discours si peu de mesure et de tenue, que sa majesté impériale a dû n’attacher aucune importance à la communication qu’il vous a faite ; elle veut même l’ignorer aussi longtemps que les circonstances le permettront. Le projet de conquérir la Norvège ne peut être dans l’esprit du prince royal que l’effet d’un moment d’effervescence. Il se trompe, s’il croit que la Russie voie jamais avec plaisir cette importante province au pouvoir de son ennemi naturel. Elle sait que le gouvernement suédois n’a perdu ni l’envie ni l’espoir de reconquérir la Finlande, que ce sera toujours sa première pensée, son premier besoin, aussi longtemps que la cour résidera à Stockholm, et qu’il ne verrait dans la possession de la Norvège qu’un moyen de plus de réaliser ses projets. Il est d’une grande importance pour la Russie que le Danemark conserve la Norvège, puisqu’en supposant un concert entre les deux puissances, dans le cas où la guerre éclaterait dans le Nord, c’est par cette province que le Danemark peut agir efficacement contre la Suède et faire une diversion utile à la Russie… D’ailleurs, aussi longtemps que le Danemark sera l’allié de la France, l’empereur ne souffrira pas qu’il soit porté atteinte à sa puissance. Son caractère, son honneur, sa dignité, lui font une loi de protéger ses alliés et de les défendre contre toutes les attaques… Il n’y a aucune suite à donner aux ouvertures que vous a faites le prince royal. L’empereur est trop puissant pour avoir besoin du concours de la Suède. Ses liaisons avec la Russie sont bonnes. Il ne craint point la guerre avec cette puissance, et ses rapports avec l’Autriche sont d’une nature satisfaisante… Vous direz tout cela, monsieur, par insinuations et par considérations générales. Vous aurez soin de garder beaucoup de dignité dans vos rapports avec le prince royal. Vous ne lui parlerez jamais d’affaires, et vous vous adresserez habituellement au roi ou au cabinet. Votre conduite devra faire entendre que la politique de l’empereur ne se fonde en rien sur la Suède, qu’il n’exige ni ne veut rien d’elle ni en officiers, ni en matelots, ni en soldats. »

De tels messages n’empêchaient pourtant pas Bernadotte de faire de nouvelles protestations en faveur de l’alliance française, et de résister, au moins en apparence, aux offres pressantes des autres cabinets. À mesure que la crise désormais prévue approchait, il se voyait plus étroitement courtisé par la Russie et même par l’Angleterre. Non contentes d’abandonner pour lui plaire les droits du prétendant, toutes les deux lui prodiguaient les promesses. Entr’autres avantages, la Russie lui offrait la cession d’une partie de la Finlande, au moins M. Alquier

  1. Dépêche du 5 janvier 1811.