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continental et même de l’alliance désormais importune de Napoléon. Il était décidé à rompre, et son but principal pendant ces premières négociations était d’enlever à son futur rival une coopération puissante pour se la réserver. Il lit donc bon accueil à la réponse de Bernadotte et lui écrivit de sa main qu’il serait son ami de cœur et d’âme. Voilà comment l’ut fondé le projet d’une future alliance de la Suède avec la Russie et l’Angleterre : nous n’y avons pas reconnu l’initiative de Bernadotte; c’est pourtant la première pierre de la politique de 1812.

La seconde pierre de l’édifice, ou plutôt le ciment destiné à l’affermir, ce fut le système qui destinait la Norvège à la Suède en compensation de la Finlande, dont la possession, désormais paisible et incontestée, serait garantie par la Suède elle-même aux Russes : autre dessein aussi peu conforme que le premier aux vrais intérêts de l’Europe et de la Suède, et qui le devint bien moins encore par la manière dont il fut exécuté. Celui-là aussi, c’est la Russie qui l’a imaginé, prévoyant avec raison qu’elle seule en profiterait. Dès le mois de mai 1809, une lettre de Charles XIII atteste l’intention du tsar de proposer la Norvège à la Suède en compensation de la Finlande. Au mois d’août de la même année, pendant les négociations qui suivirent la conquête de la Finlande, le ministre russe Alopæus ne se faisait pas faute d’insinuer cette idée à l’ambassadeur Stedingk. Alexandre lui-même revint sur ce sujet dans le même sens lors de ses premières négociations avec Bernadotte, et celui-ci tomba dans le piège. La Finlande avait été perdue sous le règne et par les fautes du dernier roi, et avant que les destinées de la Suède ne fussent confiées au nouveau prince royal. Le prince royal déclara donc qu’il n’acceptait en rien la responsabilité d’un si triste passé, qu’il comptait pour non avenu. Ce qu’il lui fallait, à lui, pour remercier la Suède de son adoption et affermir sa dynastie, c’était une acquisition, un accroissement quelconque. L’arrangement proposé répondait d’autant mieux à son désir, qu’il lui conciliait en même temps l’amitié de son redoutable voisin. Il ne craignit donc pas d’assurer à Czernitchef que ses sujets n’auraient pas d’autre avis. « j’affirme, lui dit-il dans son entrevue secrète, qu’on oubliera aisément ici la Finlande pour quelque dédommagement répondant mieux à notre position géographique. La nature elle-même a désigné la presqu’île scandinave comme devant former un état unique et indépendant. Notre politique, après la perte de la Finlande, ne peut avoir qu’un seul but : il est aussi peu dans nos intérêts de recherches désormais des agrandissemens de l’autre côté de la Baltique qu’il serait dans les vôtres de vouloir dépasser le golfe de Bothnie. »

Au sortir de l’entretien du 16 décembre 1810, Czernitchef