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Si la réunion des villes anséatiques inquiétait de la sorte Alexandre, la prise de possession du duché d’Oldenbourg lui avait paru une insulte personnelle. « Comment ne s’est-on pas rappelé en France, disait-il, que je compte au nombre de mes titres celui de duc d’Oldenbourg? C’est comme si on voulait incorporer à la France ma capitale. Au reste j’espère qu’avant six mois la querelle sera vidée[1]. » Dès le mois de mars 1811, les préparatifs d’Alexandre ne devaient être douteux ni pour Napoléon, ni pour Bernadotte. À cette époque, non-seulement il fait des armemens considérables qui ne peuvent échapper à l’attention du gouvernement français, arme les forteresses le long de la Dwina et du Dnieper, met son armée, qui compte trois cent mille hommes, sur le pied de campagne, et couvre les frontières du duché de Varsovie, — mais encore il ne retient pas son humeur dans ses entretiens avec le duc de Vicence, à qui, au milieu de protestations d’amitié durable, il reproche l’augmentation des forces françaises dans le duché de Varsovie, et auquel il dit enfin le 3 mars, à la parade, assez haut pour que ces paroles se répandent bientôt à la cour et parmi les chefs de l’armée : « Si l’empereur veut la guerre et qu’il approche dans cette intention de mes frontières, je l’attends, monsieur, sans inquiétude. Il n’est certainement pas impossible qu’il soit encore vainqueur, car le Dieu des batailles n’est pas toujours celui de la justice; mais, avec une armée de cinq cent mille hommes, je ne craindrai pas la guerre. Si une fois elle commence, ce ne sera pas pour finir comme à Austerlitz et à Friedland. »

Or, si le cabinet de Saint-Pétersbourg abandonnait le système de Napoléon, dont il avait été depuis deux ans le plus ferme appui, qu’allait devenir l’édifice si opiniâtrement et si violemment construit par le conquérant de l’Europe? Bernadotte était-il en droit d’en prévoir la ruine et de séparer de ces destinées chancelantes celles du peuple qui s’était confié à lui? Nous touchons ici à un point délicat. Est-ce Bernadotte qui a mis lui-même aux Russes les armes à la main contre son ancienne patrie? A-t-il le premier en un cœur haineux conçu la pensée et le germe de nos épouvantables désastres? Nous ne le pensons pas. Il a bien plutôt cédé d’abord aux séductions de cet Alexandre, dont la dangereuse amitié avait fait commettre des fautes à Napoléon lui-même. Une fois placé sur le penchant hasardeux qui l’éloignait de la France, la passion, la passion coupable peut-être, et la force des choses l’ont entraîné. Essayons de le démontrer : on comprend que cela importe à sa mémoire et à la justice historique.

  1. Dépêche du 25 février 1811.