Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/556

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rapprocher de l’Angleterre. Dès cette époque, on disait de toutes parts dans le Nord qu’Alexandre, éclairé enfin sur les vrais intérêts de son empire. alarmé pour lui-même des suites que pourrait avoir le mécontentement de toutes les classes de l’état, allait se hâter de conclure sa paix avec la Turquie et reprendre le seul système qui pût procurer à la Russie l’écoulement des produits de son sol, et rendre à son papier-monnaie une valeur à laquelle il n’était possible d’atteindre que par les rapports commerciaux avec l’Angleterre. On assurait que le prix des bâtimens anglais venus en Russie avait été restitué secrètement aux armateurs anglais[1], et l’on n’attribuait pas à d’autres motifs qu’une imminente rupture avec la France les immenses travaux de fortification que les Russes poursuivaient dès lors activement dans les îles d’Aland.

Le gouvernement suédois connaissait toutes ces dispositions par les rapports du ministre de Suède à Saint-Pétersbourg. La dépêche par laquelle le comte de Stedingk transmettait sa conversation du 29 janvier 1811 avec Alexandre ne pouvait laisser aucun doute :


« Oublions le passé (avait dit le tsar). Je me suis trouvé dans des circonstances terribles, et je jure sur mon honneur que je n’ai jamais voulu de mal à la Suède. A présent que cette malheureuse affaire de Finlande est passée, je veux tout faire pour montrer mon respect envers votre roi et mon estime pour le prince royal... Voyez cependant, dit-il après un silence, comme le temps apporte de nouveaux conseils, comme l’opinion publique, après avoir élevé et soutenu si haut Napoléon, est aujourd’hui changée! S’il éprouvait maintenant un revers, vous le verriez bientôt à deux doigts de sa perte... » Il ajouta avec intention : « ... Les grands malheurs sont quelquefois suivis de grandes prospérités. De Suède autrefois sortit un Gustave-Adolphe pour la délivrance de l’Allemagne; qui sait ce qui pourrait arriver encore?... Pour moi, mon armée sera complète au printemps. Je viens de former treize nouveaux régimens, et j’ai quatre-vingt mille recrues sur le pied de guerre. Au reste, je suis complètement de votre avis de ne rien entreprendre légèrement et de rester tranquille tant que Napoléon le permettra; mais il veut me pousser à bout. Depuis trois mois, il me presse sans relâche d’établir en Russie contre l’Angleterre les mêmes mesures qu’il a proclamées en Allemagne. Il veut que je prenne pour base de la paix avec la Turquie le système continental dans toute son étendue, avec toute sa rigueur. Il faut que j’exclue de mes ports même les bâtimens américains.... Ses exigences n’ont pas de terme, et un de ces jours vous verrez qu’il m’enverra ses clous de girolle, comme aux rois de Saxe et de Bavière, avec la quittance à payer !... Et cette réunion de l’Allemagne du nord à son empire, que ne nous présage-t-elle pas! S’il s’agissait d’une douzaine de villes de l’Allemagne méridionale,... cela pourrait passer inaperçu; mais Hambourg, Brème et Lubeck, notre sainte Trinité, comme dit Romanzof ! Je suis fatigué de ces vexations continuelles; je ne veux plus les souffrir. »

  1. Dépêche de M. Alquier, 18 janvier 1811.