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une adhésion absolue à son système, et, pour premier témoignage d’obéissance, une accession complète au blocus continental, c’est-à-dire une rupture complète avec l’Angleterre. Or, aux yeux des Suédois, une telle rupture, à moins que Napoléon ne fournit à la Suède des subsides considérables, équivalait d’une part à une véritable ruine, de l’autre à une abdication complète de leur indépendance, et Bernadotte rencontrait dès son arrivée dans le conseil de Charles XIII ou à sa cour un certain nombre d’hommes jaloux de la dignité de leur pays et inquiète des premières dispositions, probablement partiales pour la France, que prendrait le nouveau prince royal.

Appelé d’ailleurs à fonder une dynastie, Bernadotte avait à redouter les entreprises de l’ex-roi Gustave IV. Un parti légitimiste, dont il n’ignorait pas l’existence, pouvait être un instrument longtemps redoutable au service des factions intérieures ou entre les mains des puissances étrangères. Comment enfin sauvegarder et l’existence de cette dynastie et les intérêts mêmes de la Suède avec son honneur dans le tumulte auquel l’Europe du nord était en proie entre l’Angleterre et la Russie, en face des prétentions exorbitantes de Napoléon ? Si le prédécesseur de Charles XIII avait été puni de n’avoir pas docilement accepté les ordres du dominateur de l’Europe, les temps paraissaient changés, les rois et même les peuples semblaient commencer à trouver bien pesant le joug de la France, et le jour n’était peut-être pas éloigné où cet édifice, dépassant la mesure de l’humanité, s’écroulerait. Soucieux du salut de tout un peuple qui s’était confié à lui, inquiet pour l’avenir de sa dynastie, dont les intérêts se confondaient certainement avec ceux de sa nouvelle patrie, Bernadotte recourut aux armes du faible : il résolut d’attendre en observant. de retarder autant qu’il le pourrait ses décisions, et, si elles devenaient inévitables avant son heure, de ruser. « La politique, disait-il, n’est que bavardage quand on n’est pas le plus fort; au second rang, c’est l’art de plier sans se compromettre. » Ne pas se compromettre aux yeux de ses nouveaux sujets, échapper à la domination, alors despotique il est vrai, de la France, éviter aussi longtemps que possible une guerre ouverte avec l’Angleterre, ménager même pour l’avenir l’amitié de cette puissance et celle de la Russie, tel fut le programme de Bernadotte pendant l’année 1811, c’est-à-dire jusqu’au jour où, désespérant d’être l’allié de Napoléon, il voulut être son rival.

Les premières difficultés vinrent à propos des rapports avec l’Angleterre, l’empereur exigeant impérieusement de ce côté une rupture complète. Le traité conclu entre la Suède et la France le 6 janvier 1810 stipulait, à la vérité, une adhésion pleine et entière de la