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n’est pas de nature à nous convaincre. Il est vrai aussi que, le titre une fois signé et placé entre les mains des jésuites, le prince pouvait protester à la face du monde et dévoiler l’iniquité commise; mais ne sommes-nous pas dans les régions de la fantaisie? Patience, ce n’est là que le début.

Le prince Justus-Erich est marié depuis vingt ans; il a une fille belle, pieuse, héritière des sentimens catholiques de sa mère, mais souffrante et comprimée dans cette cour où domine la haine de Rome. Ce n’est pas seulement son âme qui souffre; Justine est malade, et les secousses qui ébranlent sa santé défient tous les remèdes. Un jeune gentilhomme arrive auprès du prince : c’est un Piémontais, le comte Giuseppe délia Torre, esprit d’élite, âme mystique et aventureuse, avec maintes grâces séduisantes. Il s’occupe de magnétisme, et à l’aide de cette mystérieuse puissance, il essaie de guérir la princesse. Or Justine l’a entendu parler de religion, elle l’a entendu exprimer des idées originales et hardies sur les rapports des deux églises qui se partagent les races germanique et romane. « L’église de Luther, disait le jeune comte, n’a qu’une mission purement transitoire; il faut un nouveau catholicisme, le catholicisme vrai, et c’est la réforme, tout insuffisante qu’elle est par elle-même, c’est la réforme qui a rendu possible ce catholicisme de l’avenir. » Malgré ce qu’elles ont de vague et d’indéterminé, ces doctrines ont été pour Justine une sorte de soulagement; elle a écouté comme un consolateur celui qui osait parler ainsi dans une cour où règne une théologie toute contraire, la théologie d’un protestantisme étroit, farouche et immobilisé à jamais; oui, elle l’a écouté avec un ravissement ineffable, elle est restée suspendue à ses lèvres, si bien qu’après une soirée où le comte della Torre l’a endormie par l’influence magnétique, la belle magnétisée se lève, sort de sa chambre, traverse les vestibules, arrive chez le jeune gentilhomme, se précipite dans ses bras, et l’enveloppe de ses caresses. A peine le comte délia Torre est-il revenu de sa surprise, que le père de Justine se présente sur le seuil de la chambre. Grand scandale, comme vous pensez, colère du prince, mariage obligé du comte délia Torre et de la princesse Justine. Qu’était-ce cependant que ce comte délia Torre? Un prêtre catholique, un membre de la société de Jésus, qui ne demande pas mieux que de jeter le froc aux orties, et qui conserve néanmoins de son ancien état un goût décidé pour les associations mystérieuses. Il est toujours jésuite, quoique très émancipé; il est de plus franc-maçon et il a des accointances avec le comte de Saint-Germain. N’oublions pas un point important : avant d’être admis dans les ordres, le comte délia Torre a épousé une Vaudoise, nommée Mormona, qu’il a cru convertir au catholicisme, et qui, morte peu de