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« Une émotion irrésistible s’était emparée du Sonnenwirth. Cette âme qui avait été la proie de tant de passions sauvages, cet homme violent qui n’avait pas craint de porter la main sur les vases sacrés de l’église, il priait maintenant Le Dieu qu’il avait outragé. Il se jeta à genoux, et, lovant ses bras vers le ciel que la première aube éclairait de ses lueurs bleues, il s’écria en versant des torrens de larmes : — « père céleste! donne-nous ta bénédiction en faveur de ce juste! Tu n’abandonnes pas tes créatures privées de raison qui fourmillent sous ton soleil, tu leur donnes leur nourriture et leur vêtement; oh! soutiens-nous aussi et conserve-nous, nous qui sommes tes fils ; donne-nous notre pain, ainsi qu’à nos pauvres petits enfans; conduis-nous hors de ce pays où mon père et ma mère sont si impitoyables! oui, conduis-nous dans un pays meilleur que tu nous montreras toi-même, fais-nous marcher devant toi, et accorde-nous ton appui afin que nous ne tombions plus dans le mal ! »

« Christine s’était agenouillée à côté de lui et sanglotait. Quand il eut fini, tous les deux restèrent encore longtemps à genoux. A travers la cime des arbres souriait l’astre du jour qui venait de se lever sur les montagnes, apportant la chaleur et la vie. »


Malheureusement il n’y a pas de chaleur et de vie nouvelle, il n’y a pas de consolation pour le pauvre Sonnenwirth dans cette société qui reste fidèle à son esprit d’exclusion impitoyable, jusqu’à ce que le jugement de Dieu l’ait châtiée. Ce grand déluge dont parle le père de Christine n’a pas encore submergé les vieilles iniquités sociales; le pasteur est toujours un pharisien tyrannique, le magistrat du district est toujours un despote imbécile, et le Sonnenwirth, outragé dans sa femme et ses enfans, commence à éprouver ce vertige qui fait les assassins. Schiller, dans le fragment que je signalais plus haut, a raconté comment le malheureux, un jour qu’il braconnait dans les bois, avait été amené à décharger son arme sur l’homme qui avait été la première cause de ses malheurs; sombre, effaré, il s’enfonce plus avant dans la forêt et rencontre une troupe de bohémiens et de voleurs qui l’obligent à devenir leur chef. Le fait est constaté dans le procès du Sonnenwirth. L’opinion implacable l’avait tellement noirci, l’imagination des gens de la contrée l’avait si bien transformé en un héros de brigandage, que la renommée de ses exploits avait pénétré partout; les bandes organisées qui désolaient alors le pays souabe le considéraient d’avance comme leur maître. M. Kurz a développé avec beaucoup d’art cette curieuse indication. Jusqu’ici le Sonnenwirth, partagé entre le bien et le mal, tour à tour provoqué par l’injustice des hommes et calmé par la vue de sa compagne, offrait au peintre un sujet d’émotions poignantes. Maintenant tout est fini : le voilà à la tête d’une légion de voleurs; il a abandonné sa malheureuse femme pour une des bohémiennes de la troupe, et il semble que la dernière lueur du sentiment moral