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Tripoli est le principal emporium qui mette l’Afrique centrale en communication avec Le bassin de la Méditerranée. Tous les ans une caravane du Bournou transporte au Fezzan les diverses marchandises que cette mystérieuse contrée peut fournir aux nôtres, en échange direct ou indirect de celles qu’elle en reçoit. Du Fezzan, ces marchandises sont portées à Tripoli, où elles se partagent entre l’Occident et l’Orient : c’est l’Orient qui a la plus grosse part, puisque c’est lui qui reçoit tous les esclaves, branche principale de ce commerce. Quand on songe à toutes les dépenses que l’Angleterre et la France ont faites, à tous les embarras que ces deux puissances se sont philanthropiquement donnés pour empêcher la traite des noirs sur les côtes sauvages de l’Afrique occidentale, on a droit d’être un peu surpris qu’elles la tolèrent dans la Méditerranée, presqu’en vue de l’Algérie et de Malte. Les Anglais paraissent avoir compris ce qu’une telle conduite a d’inconséquent, car ils ont quelquefois cherché à discréditer ce commerce, mais seulement par voie de conseils et d’insinuations. En attendant que leurs prédications portent fruit, ils se résignent à envoyer dans le Fezzan la plus grande partie des marchandises qui alimentent la traite.

Les esclaves qui arrivent dans la Tripolitaine proviennent tous des courses ou razzias opérées sur les peuplades noires encore idolâtres par les Touariks et autres tribus maures, et même par des nègres musulmans, car il faut bien remarquer qu’il ne serait pas de bonne guerre ni de bonne prise d’enlever, par ces actes de violence, des noirs convertis à l’islamisme. Il en résulte que les musulmans attachent à la traite une idée de propagande religieuse, attendu que les esclaves qu’ils se procurent ainsi deviennent tous musulmans. Au surplus, il y a une différence immense entre le sort des esclaves chez les musulmans et celui des malheureux noirs qu’exploitent les chrétiens de l’Amérique. L’existence des premiers paraîtra vraiment assez supportable, si l’on ne considère pas la vie d’un point de vue trop élevé, et qui ne saurait être celui de ces pauvres créatures. Les femmes surtout, qui n’arrivent sur les marchés d’exportation que fort jeunes, car on ne s’embarrasse pas des autres, peuvent espérer un avenir moins dur que celui qu’elles auraient eu dans leurs tristes foyers. Assez souvent elles épousent leurs maîtres, et les enfans qui proviennent de ces unions, ceux même qui doivent le jour à des rapprochemens moins solennels, ont les mêmes droits que les blancs, les préjugés de la peau n’existant pas dans le monde de l’islamisme. Je ne veux point au reste chanter ici les douceurs de L’esclavage, qui peut avoir divers degrés de misère, mais qui ne saura er d’être un mal. Mon intention est seulement d’établir un fait qu’aucune personne connaissant l’Orient ne pourra nier, c’est que cette institution monstrueuse outrage moins l’humanité