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débutans n’étaient pas encore parfaitement sûrs d’eux-mêmes, les voilà disposés à se soutenir les uns les autres : spectacle aimable, si j’ose le dire, gracieux exemple d’encouragement mutuel, et où je trouve déjà quelque chose du génie germanique. Les Minnesinger du XIIIe siècle, les Meistersœnger du XVe, étaient aussi des confréries littéraires, et dans cette communauté d’efforts chaque membre trouvait une sauvegarde soit contre ses propres erreurs, soit contre l’indifférence ou les mauvais jugemens de la foule. Prêtons donc une attention sérieuse à cette académie de romanciers, à ce groupe d’écrivains qu’a rassemblé M. Müller, et, puisque c’est une pensée élevée qui les anime, signalons le bien et le mal avec franchise; la sympathie et la sévérité attesteront également notre sollicitude.

Commençons par le jeune maître : le roman de M. Otto Müller, Charlotte Ackermann, est une touchante et douloureuse histoire empruntée aux annales de la littérature dramatique en Allemagne au XVIIIe siècle. On sait quelle fut, vers le milieu du siècle dernier, l’importance littéraire de la scène de Hambourg. Attiré par les artistes d’élite qui y interprétaient les chefs-d’œuvre de Shakespeare, de Corneille, de Racine, et les premières tentatives du vrai drame germanique, Lessing a écrit, à l’occasion de ces soirées de Hambourg, une série d’études qui composent un de ses plus intéressans ouvrages. C’était le moment où l’Allemagne allait produire aussi sur le théâtre les grands poètes qui font son orgueil : on ne parlait pas encore de Schiller; mais déjà Wolfgang Goethe, en racontant les souffrances du jeune Werther, en faisant jouer Goetz de Berlichingen, avait donné le signal d’une littérature toute nouvelle, tandis que Lessing frayait vaillamment la route à des inventeurs plus complets avec sa Minna de Barnhelm et son Emilia Galotti. De grands acteurs avaient paru et semblaient provoquer les poètes. La faveur publique venait en aide à ces premiers triomphes; je ne sais quelle vie nouvelle, je ne sais quel souffle printanier circulait dans ces domaines, jusque-là si incultes; maintes apparitions charmantes souriaient à la naissance de l’art.

Parmi les plus habiles interprètes des œuvres confiées à la scène, la famille Ackermann brillait au premier rang, véritable famille d’artistes comme l’imagination peut en rêver, famille toute patriarcale, dévouée à l’art, dévouée à l’étude du beau, et sans aucune de ces prétentions ridicules avec lesquelles on transfigure aujourd’hui le moindre joueur de violon. Les comédiens de la famille Ackermann n’étaient pas des révélateurs incompris ni de sublimes crucifiés; c’étaient tout bonnement de sérieux artistes qui aimaient leur art, de braves gens qui s’efforçaient de charmer la foule naïve et de satisfaire les connaisseurs d’élite, sans songer à la