Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

siècles virils. L’abondance des talens, oui, c’est un des signes de notre âge; mais, hélas! avec quelle rapidité elles s’effacent, toutes ces lueurs incertaines! L’image trop fidèle de la saison littéraire où nous sommes, ce sont ces milliers d’étoiles filantes qui brillent et disparaissent dans le ciel par une chaude nuit d’été. Il y avait pourtant bien des qualités précieuses chez tel écrivain dont le premier essor nous charmait l’an dernier; qu’est-il devenu ? Il a perdu sa voie, il a suivi les feux follets qui mènent aux pièges perfides, vous le cherchez et ne le trouvez plus. C’est toujours, et plus que jamais, le cri douloureux de l’orateur antique : l’année a perdu son printemps!

Je pourrais faire cette réflexion à propos de la France, et les exemples ne me manqueraient pas pour éclairer ma pensée; c’est à l’Allemagne seulement que je veux l’appliquer aujourd’hui. Combien de commencemens heureux n’ai-je pas eu à signaler depuis quinze ans ! Combien de fois l’Allemagne n’a-t-elle pas accueilli avec espoir un nom qui promettait de grandir ! Celui-ci était poète : il chantait le retour de l’âme aux émotions de la vie religieuse, il se plaisait à des tableaux d’une grâce enfantine, et cette fiévreuse Allemagne des dernières années, à peine débarrassée de son cauchemar, semblait revenir avec M. Oscar de Redwitz à la foi des Minnesinger. Celui-là était un conteur bien inspiré; il avait su donner une forme touchante aux observations qui frappaient son esprit, il nous faisait partager ses sympathies si douloureuses, si profondément tendres pour les misères des israélites de Bohême, et nous étions heureux de saluer M. Léopold Kompert comme un des futurs maîtres du roman philosophique. Cet autre s’était attaché à peindre les paysans de la Forêt-Noire; il avait découvert dans un petit village du duché de Bade une poésie inconnue avant lui, et ses romans rustiques avaient eu l’éclat d’une révélation; Berthold Auerbach était le chef d’une école. Brillans débuts, espérances souriantes, où êtes-vous? Des causes différentes ont amené des résultats trop semblables : poètes et conteurs se sont arrêtés en route. Orgueil ou paresse, infatuation ou défiance de soi, entraînemens de la vie publique, séductions du journalisme, sans parler, hélas! des motifs légitimes et de la dure nécessité qui s’oppose si souvent à la pratique de l’art, voilà quelques-unes des influences qui viennent glacer la sève au moment de la floraison espérée. Je ne cite ici que les écrivains qui ont jeté le plus d’éclat; mais autour d’eux ou au-dessous, que de noms encore ont éveillé un instant la sympathie publique! Les rangs étaient pressés, une légion nombreuse semblait s’avancer en bon ordre, et cependant chaque année le tableau changeait d’aspect. Les débuts succédaient aux débuts, et l’écrivain applaudi allait disparaître au sein de la foule. Tout cela atteste, encore une fois, une singulière fertilité littéraire;