Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie disputée jour par jour, elle gardait son came libre ; elle se donnait sans cesse, elle se possédait tout entière, toute au service du maître qu’elle adorait en esprit et en vérité.

À toutes les époques, en tous lieux, par son énergie, sa droiture et sa sincérité naturelles, la Damiane aurait donné l’exemple des plus mâles vertus, mais jamais avec cette grandeur naïve, cette humilité, cette tendresse que la femme chrétienne nous a révélées. Née à Rome, dans le sein du patriciat, aux temps glorieux de la république, elle eût été l’honneur des familles consulaires, la matrone vénérée, la compagne des héros, leur mère, leur amie. Sous la loi nouvelle, la Sendrique atteignait une dignité plus haute, et dans les plus obscures conditions, sans nom, sans fortune, illettrée, dans ce pauvre village de Seyanne, dans cette maison ruinée ! On reconnaissait en elle cette noblesse incomparable des âmes fécondées par l’Évangile, les seules qui donnent tous leurs fruits.

Dans la société de cette femme forte, Espérit revenait réellement à lui-même. À la voix de la Damiane, sous cette calme influence, tout un monde de choses jeunes et naïves, de sentimens vrais, profonds, ingénus, renaissait et grandissait en lui. Quelle transparence donnée à l’âme ainsi replacée à son aurore, sur ce fonds divin des croyances, aux premières clartés de la foi dans l’âme ! Vives lueurs, aube lointaine, allégresse éthérée, chant matinal des voix les plus douces ! Et l’homme n’a rien à renier de cette piété de l’enfance soumise ; toute la vérité est reçue à ces heures d’innocence ; qu’elle soit ressaisie à ces pures origines, et l’âge viril en sera illuminé. Pour tous les temps, la même loi demeure ; pour tous les temps, le même amour et la même espérance.


V.

Espérit se laissait aller avec une joie d’enfant à ces impressions de bonheur. Il ne pouvait plus se séparer de sa marraine, et quoiqu’elle fût tout à fait hors de danger, par momens il s’effrayait encore des lenteurs de la convalescence, il en suivait les moindres crises avec l’émotion, l’inquiétude d’un fils. Pour retourner à Lamanosc, il attendit que la Sendrique eût repris ses travaux de ménage comme par le passé.

À son arrivée, il trouva Caban toux et Bélésis tout à fait installés au château des Saffras, travaillant aux jardinets, sarclant les plates-bandes, arrosant les fleurs. Il s’informa du sort de la tragédie.

— Oh ! il y a du nouveau, répondit Cabantoux. Oui sait tout ce que les Cazalis ont acheté ce matin au marché ? Le sergent Tistet est venu nous convoquer tous avec sa lettre, puis il est revenu