Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sons ni faire une gamme sans courir le risque de s’étrangler, que vous ferez entendre la langue exquise de Mozart, de Cimarosa et de Rossini ? Courbe donc la tête, Sicambre ! c’est à l’exposition des machines qu’il faut aller, si tu veux être fier de ton siècle ; mais reconnais en même temps que tu as perdu le sens des choses divines !

L’exécution de l’admirable partition de Mosé, qui est le Moïse nouveau que Rossini a refait pour la scène de l’Opéra avec le prodigieux finale du troisième acte, a été médiocre, pour ne pas employer de mot plus sévère. Mme Fiorentini, qui n’est plus de la première jeunesse, et qui n’a jamais été d’ailleurs qu’une seconda donna, a montré son insuffisance dans le rôle d’Anaïde. Sa voix serait encore assez belle, si le style et le sentiment ne lui faisaient entièrement défaut. M. Carrion est un ténor espagnol dont l’organe ne manque ni de flexibilité ni de charme : il rappelle par le timbre de sa voix et certaines allures de sa personne Adolphe Nourrit, dont il est loin de posséder le goût et l’intelligence dramatique. On s’aperçoit du reste que M. Carrion a fait son éducation sur des théâtres secondaires, car il a contracté le défaut de concentrer toutes ses forces sur certaines notes culminantes, qu’il attaque comme un bastion d’où dépend le succès du morceau, laissant le reste de la phrase dans une pénombre où l’auditeur ne peut le suivre. Ce procédé violent et commode dispense d’avoir du style et de préparer ses effets avec la savante économie qui est la première qualité d’un virtuose. C’est ainsi que M. Carrion gaspille l’effet si bien ménagé de la belle phrase ascendante du fameux duo du second acte :

Non merta più consiglio,
Il miseio mio stato !

Au lieu d’atteindre sans effort le si supérieur et de redescendre par cette chaîne de triolets que Rubini faisait jaillir comme autant de larmes sonores (qu’on nous pardonne ce concetto emprunté au vieux romantisme), M. Carrion s’élance à l’assaut de cette note lumineuse comme un chasseur d’Afrique sur la tour Malakof ; mais il n’atteint pas au but, et retombe dans la tranchée en bredouillant. Son partner, M. Everardi, qui, au conservatoire de Paris, où il a été élevé, s’appelait Éverard, son véritable nom, est bien mieux inspiré dans le rôle de Pharaon. D’un physique distingué, dirigeant avec goût une voLx de baryton assez étendue, qui pourrait être, comme disent les Italiens, plus pastosa, M. Everardi chante sa partie dans le duo que nous venons de citer, parlar, spiegar, avec un talent réel. Il varie la composition de ses ricami ou broderies, dont il respecte le rhythme intérieur, chose assez rare pour être remarquée. Aussi M. Everardi a-t-il été accueilli par le public avec une faveur méritée. M. A. Angelini possède aussi une fort belle voix de basse qui sied au personnage de Mosé, dont il a dit certains passages, particulièrement l’invocation du second acte : Eterno, immenso, incomprensibil Dio ! avec succès. Le personnage secondaire de Sinaïde est rempli par une jeune cantatrice, Mme Pozzi, qui a du goût, de la facilité et assez de talent pour aspirer à des rôles plus importans, si sa voix de soprano