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s’est vu souvent, particulièrement en Allemagne ; mais il y a une différence sensible entre un amusement de dilettante qui n’implique pas de prétention et la recherche de la gloriole d’artiste La vanité sort toute vivante du cerveau d’un poète ou d’un compositeur auguste qui se fait jouer sur un théâtre public. Louis XIV a dit sur les inconvéniens qui résultent pour un prince de ses prétentions avouées au bel esprit des paroles dignes de son grand sens. Si l’opéra de Sainte Claire avait été exécuté sur un théâtre particulier ou dans une fête de cour, il y aurait à relever quelques qualités estimables dans la musique, qui est une imitation assez malheureuse de la manière, de Meyerbeer. Sur la première scène lyrique de l’Europe, la partition de Sainte Claire a dû nécessairement être jugée plus sévèrement. Aussi sommes-nous persuadé qu’il y a un mystère là-dessous, peut-être la trahison de quelque vieux maître de chapelle obscur qui aura voulu se procurer l’insigne honneur d’être chanté à Paris, en usurpant le nom d’un prince libéral dont toute l’Allemagne estime le caractère.

Le Théâtre-Italien a bravement ouvert ses portes le 2 octobre dernier. Il faut d’autant plus louer l’administration nouvelle de cette ponctualité à se présenter devant le public parisien, que le personnel de la troupe qu’elle a pu mettre en ligne de bataille n’est certes pas de premier ordre. C’est par le Moïse de Rossini qu’on a inauguré la saison, qui menace d’être laborieuse et difficile, si l’on ne parvient à vaincre la tiédeur des dilettanti pour un théâtre qui a fait pendant trente ans leurs délices. Nous n’insisterons pas sur les causes bien connues de ce changement de fortune ; c’est le destin et M. Verdi qui ont fait au Théâtre-Italien ces tristes loisirs. Il faudrait être bien infatué de la grande niaiserie du progrès universel et continu qui a cours aujourd’hui, pour nier qu’en fait de musique nous soyons dans un état de complète misère. En Allemagne, on discute les théories bouffonnes de M. Wagner, et on écrit des volumes d’esthétique sur ses opéras barbares, où l’inanité des idées le dispute à la grossièreté de la forme. En Italie, il n’y a que des concetti, une vanité nationale qui aveugle les meilleurs esprits, et Les opéras de M. Verdi, qu’on a pris pour un homme de génie et un grand maître. En France, nous vivons des charmans radotages de quelques Anacréons qui, pour avoir des cheveux blancs, n’ont pas cessé de se couronner de roses et de chanter l’amour. Tous les matins, les vrais amateurs se demandent, comme les Athéniens du temps de Démosthène : Qu’y a-t-il de nouveau ? Sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? — Rien, rien que le vent qui tournoie et le soleil qui poudroie ! Dans cet état de pénurie, ce qu’il y aurait de mieux à faire pour le Théâtre-Italien, ce serait de prendre tout simplement les chefs-d’œuvre de Mozart, de Cimarosa, de Rossini, de Bellini et de Donizetti, entremêlés de quelques ouvrages de second ordre, tels que le Cantatrici Villane, la Prova d’un operaseria, la Serva padrona de Paisiello. — Vous en parlez bien à votre aise, pourrait-on nous répondre, et où donc sont les chanteurs capables d’exécuter il Matrimonio segreto, le Nozze di Figaro, don Giovanni, et même don Pasquale, depuis que Lablache, Mario, Ronconi, la Grisi ou Mme Bosio ne sont plus, à Paris ? Est-ce avec les virtuoses formés à ce qu’on appelle l’école de M. Verdi, qui ne savent pas lier deux