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très tendue, un témoignage du sérieux intérêt que leur portent les alliés de la Turquie, en remettant au moins à l’étude les questions multiples qu’embrasse cette organisation sous la garantie d’un protectorat collectif. Nous aimons d’ailleurs à reconnaître que dans ces derniers temps l’Autriche a profité du pouvoir réel qu’elle exerce sur le Bas-Danube pour prendre des mesures fort utiles à la navigation de ce grand fleuve, mesures qui resteront acquises au commerce, et qu’il ne faut pas juger à un point de vue étroit. Si elle devance, en les prenant, les désirs de la Porte-Ottomane, l’Autriche ne sert pas moins ses intérêts que les intérêts généraux de tous les pavillons européens dans la Mer-Noire, et montre qu’elle ne craint pas de froisser les prétentions des Russes, qui la regardent faire sans risquer la moindre représentation.

Un journal qui est une puissance en Europe disait récemment, en termes familiers, que la Turquie, arrachée aux convoitises russes, « n’en était pas moins sur sa dernière jambe, » Turkey is on its last leg, c’est-à-dire que le problème intérieur était toujours à résoudre pour elle, et qu’il se compliquait plus que jamais. C’est vrai, et pourtant nous espérons qu’à force de bonne volonté chez tous ceux qui peuvent contribuer à cette grande œuvre, l’empire turc se régénérera par l’infusion de principes nouveaux, dont l’adoption ne trouve plus de résistance sérieuse parmi les hommes distingués qui entourent le sultan, et dont on peut dire que la cause est gagnée dans la tête du corps qu’ils doivent fortifier et rajeunir. Seulement il faut des mains légères pour conduire à bien cette difficile entreprise, et on n’est que trop fondé à douter qu’avec les intentions les plus respectables assurément, tous ceux qui sont appelés, par leur caractère comme par leur position, à exercer une grande influence sur le succès de ce travail délicat, y apportent des habitudes d’esprit et des moyens d’action également heureux. Cette observation, nous n’avons pas besoin de le dire, s’applique surtout à lord Stratford de Redcliffe, dont les rapports avec le sultan ne se sont pas améliorés, et dont la personne est devenue une des plus grosses difficultés, presque un danger de la situation à Constantinople. L’âpreté qu’il met à poursuivre ceux dont il s’est déclaré l’ennemi n’a d’égale que l’ardeur avec laquelle, il soutient ceux qu’il prend sous sa protection. Avec ce caractère, on est toujours ou vainqueur ou vaincu sur des questions qui paraissent de nature à froisser à chaque instant la susceptibilité du gouvernement auquel on doit des conseils bienveillans, mais qui a le droit de décider en matière d’administration intérieure, — et on ne conserve pas la sérénité impartiale de son propre jugement. Tout devient alors un sujet de lutte, et les mesures les plus simples prennent une fausse couleur qui les envenime.

Ainsi par exemple la Porte vient de destituer le patriarche grec Anthimos : on ajoute aussitôt que c’est le protégé de lord Stratford, et de bonne foi ou à mauvaise intention on dira qu’il a été frappé à ce titre. Que le patriarche Anthimos soit en effet le protégé de lord Stratford, la chose est possible ; mais qu’en le destituant, la Porte ait voulu être désagréable à l’ambassadeur d’une puissance aussi étroitement alliée avec celle que l’Angleterre, c’est ce que nous ne croyons pas, parce qu’elle a bien assez de la question engagée sur le nom de Méhémet-Ali. La vérité est au contraire que le patriarche, dont la