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ou d’une dimension comparativement insignifiante. Dans la proximité et à l’ouest d’Isnikmid (Nicomédie), la position du Sabandja-Gheul est remarquable en ce que ce lac semble avoir été creusé par la nature pour rapprocher la mer de Marmara et le Pont-Euxin, en évitant le passage du Bosphore. Les cours d’eau qui le relient d’un côté au golfe de Nicomédie, et de l’autre au Sakaria (Sangarias), qui se déverse dans la Mer-Noire, pourraient être canalisés, de manière à rendre cette voie de communication complète. Déjà, du temps des anciens rois de Bithynie, l’idée de cette jonction s’était présentée. Sous Trajan, Pline le Jeune, gouverneur de cette province, insista fortement pour qu’elle fût mise à exécution. Depuis la domination ottomane, ce même projet, jusqu’alors sans résultat, fut repris à différentes fois, d’abord sous Suleyman le Grand, qui chargea le célèbre Sinan, l’architecte de la belle mosquée Suleymanié, à Constantinople, d’effectuer un nivellement exact de ces localités, et ensuite sous Mourad II, petit-fils de Suleyman, qui fit commencer les travaux, successivement entrepris encore et abandonnés par Mahomet IV, Moustapha III et Osman III.

Dans la série des bassins lacustres de la Phrygie, l’Egherdir-Gheul se distingue par la physionomie éminemment pittoresque que lui donnent les rochers qui l’encadrent de tous côtés, et dont les contours variés sont revêtus d’une végétation splendide qui se reflète dans les ondes du lac en teintes d’un vert foncé. Lorsque du haut du rivage méridional où s’étagent gracieusement les maisons de la ville. d’Egherdir apparaît cette belle nappe d’eau, le spectacle qui s’offre au voyageur rappelle le panorama ravissant que dans des proportions plus vastes l’on découvre de Constantinople, quand de la pointe du Sérail le regard s’étend jusqu’aux iles des Princes, rayonnant dans le lointain. Les îlots verdoyans de Djennada et de Nyss dans l’Egherder-Gheul, en simulant les petits groupes insulaires de la Propontide, achèvent l’illusion.

A l’est, sur les plateaux arides de la Lycaonie, se déploie tout un réseau de lacs aux eaux saumâtres et d’un goût fade et désagréable, ou recouvertes d’efflorescences blanchâtres et saturées à différentes doses de chlorure de sodium ou de sulfates de magnésie et de soude. De tous ces bassins, le plus important comme aussi le plus considérable de l’Asie-Mineure est le Touz-Gheul, le Tatta de Strabon, au nord-est de Konieh (Iconium). Sa plus grande largeur, du sud-ouest au nord-est, est de 11 lieues environ sur une largeur qui varie de 5 à 3 lieues; sa circonférence en a 28, et sa superficie est de 58 lieues carrées. Le sel que l’on retire du Touz-Gheul et des autres dépôts lacustres du pachalik de Sivas doit compter parmi les richesses de l’Asie-Mineure susceptibles d’une exploitation lucrative.

Si jamais la propriété foncière en Turquie subit dans le régime qui en détermine la transmission et la jouissance les réformes qu’elle attend encore, et si elle devient accessible aux étrangers avec toutes les garanties qui en consacrent la possession chez les nations civilisées, nul doute que le courant de l’émigration européenne, qui se porte aujourd’hui vers le Nouveau-Monde, ne reflue en partie vers l’Asie-Mineure. Ses solitudes maintenant stériles reprendront la fécondité et la vie qu’elles eurent autrefois; alors, sur les bords de ses lacs devenus un centre d’attraction pour les populations, se grouperont