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l’hypothèse la plus favorable, celle d’un prompt rétablissement de la paix, que sa nationalité[1], en butte au ressentiment implacable et soupçonneux des populations musulmanes locales, ne lui ferme à jamais l’entrée de la péninsule, et que son travail ne reste inachevé.

Suivons maintenant M. de Tchihatchef sur le terrain où il nous place dans le premier volume qu’il a déjà livré au. public, et, en prenant une idée du relief et de la position topographique, si curieusement accentuée et si pittoresque, de l’Asie-Mineure, essayons de comprendre ce qu’elle fut autrefois et d’entrevoir son avenir; mais avant tout il est nécessaire que nous nous arrêtions un instant à une question de géographie historique qui n’est pas sans intérêt, et qui s’offre à nous dès le début, celle de l’origine du double nom d’Asie-Mineure et d’Anatolie, sous lequel la contrée est désignée aujourd’hui. En consultant les témoignages que nous a transmis l’antiquité, nous voyons que si ces deux dénominations, prises dans le sens particulier qu’elles ont reçu, ne sont pas très anciennes, il n’en est pas de même du nom d’Asie, qui remonte aux âges les plus reculés, et qui, après avoir pris naissance dans la partie occidentale de la péninsule, s’est étendu à mesure que les conquêtes ou le commerce reculèrent les bornes des connaissances géographiques. Sans vouloir reproduire les explications mythologiques ou ethnographiques que les écrivains grecs et latins ont imaginées après coup, et en nous renfermant dans le domaine purement historique, nous dirons que, dès le principe et pendant longtemps, ce nom fut borné à une simple localité. Homère, et plus tard Euripide et Virgile, l’appliquent à la vallée comprise entre le fleuve Caïstre (Kutchuk-Mendéré) et la chaîne du Tmolus. Le premier de ces trois poètes nous dit que « dans la divine Arisbe δῖα Αρίσϐη. ville de la Troade, régnait Asius, fils d’Hyrtacus, accouru au secours de Priam des rives du Selléis. » Suivant Strabon, la Lydie s’appelait jadis Asia. Quelquefois toute la portion de la péninsule à l’ouest du fleuve Halys (Kizil-lrmak) était comprise, comme nous le montre Hérodote, sous l’appellation d’Asie ou d’Asie inférieure, pour la distinguer du reste du monde asiatique, ou Asie supérieure. Lorsque les Romains commencèrent à implanter leur domination dans ces régions par la prise de possession du royaume de Pergame, que leur avait légué le roi Attale, l’Asia, que Varron appelait provincia nestra, avait pour limites celles de ce royaume. Ce premier noyau, augmenté bientôt après de la Lydie, l’Ionie, la Carie, la Mysie-Majeure, la Phrygie et l’Hellespont, composa la province proconsulaire d’Asie, désignation officielle affectée, depuis le commencement de notre ère jusqu’aux empereurs chrétiens, à cette portion de l’Asie-Mineure. Cependant déjà depuis longtemps les Romains avaient franchi l’Halys, et leurs aigles triomphantes avaient pris leur vol jusqu’aux rives de l’Euphrate. Par suite du progrès de leurs armes, le nom d’Asie, généralisé, fut attribué à toute la contrée qui, depuis la mer Egée, s’étend jusqu’à l’Arménie, et adopté dans cette acception par les géographes, qui partagèrent la péninsule en deux grandes divisions, l’Asie en-deçà du Taurus (Asia citerior) et l’Asie au-delà du Taurus (Asia ulterior). Sous l’empereur Théodose le Grand, l’Asia proprement dite, comprenant

  1. M. P. de Tchihatchef est Russe d’origine.