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pas suivi l’exemple de Phidias, s’il n’eût pas cherché à s’élever au-dessus de la réalité, s’il ne se fût pas efforcé d’idéaliser, c’est-à-dire de transformer, d’agrandir ce qu’il voyait, il ne serait jamais devenu le chef de l’école romaine, et son nom ne serait pas aujourd’hui synonyme de grâce et de beauté; non-seulement la preuve de ce que j’avance est inscrite dans ses œuvres, mais il nous a révélé dans sa correspondance les habitudes et les procédés de son esprit. Dans les lettres du Sanzio, publiées par Bottari, nous voyons qu’il ne se contentait pas de la réalité, que, malgré son admiration pour la Fornarina, il cherchait constamment quelque chose de plus pur, de plus expressif, en un mot que le rêve de l’idéal a tenu dans sa vie une place immense. Que l’on compare le portrait de sa maîtresse placé dans la tribune du palais des Offices à Florence aux types de femmes créés par son pinceau, et l’on pourra mesurer le travail accompli par son intelligence.

Ainsi dans la peinture comme dans la statuaire les partisans de l’idéal ont pour eux le témoignage et l’autorité des maîtres les plus illustres. Il semblerait donc que cette cause dût être gagnée à tout jamais, que la discussion fût désormais épuisée, — et cependant les choses ne vont pas ainsi. Une erreur singulière, une grossière méprise s’est accréditée dans les ateliers et dans les salons. Pour les peintres, pour les sculpteurs, pour les gens du monde, l’idéal se confond avec les traditions académiques, c’est-à-dire avec les types consacrés par une longue et servile imitation. Il serait difficile d’imaginer pour le sens vrai des mots une entorse plus violente. Pour quiconque en effet veut se rendre compte de la nature des facultés humaines, il est évident que l’imagination vit de liberté. Essayez de l’asservir, et si par malheur vous réussissez, vous la tuez. Ceux qui considèrent le culte de l’idéal comme un renoncement à toute indépendance dans l’exercice du talent ignorent ou bien oublient les relations de l’idéal avec l’imagination, et celles de l’imagination avec la liberté. Ceux qui cherchent dans l’imitation assidue de la nature la variété, l’originalité, affrontent sans le savoir un danger dont ils ne triompheront pas. Ils engagent avec le modèle vivant une lutte inégale, et vont au-devant d’une défaite certaine. J’ajouterai, et le lecteur attentif aura déjà pressenti ma pensée, que l’indépendance du talent se trouve tout entière du côté de l’idéal, et que la servilité, la monotonie, se trouvent du côté de l’imitation. Sans doute les types que nous présente la nature sont variés à l’infini : c’est pourquoi il faut les consulter; mais celui qui se borne à copier ce qu’il voit n’atteindra pourtant jamais à la même variété, à la même grandeur, à la même puissance que celui qui ajoute au témoignage de ses yeux le travail de sa pensée. Qu’il prenne un