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pour la peinture et la .statuaire : la transformation du sentiment religieux est venue accroître les embarras des arts du dessin. Je ne crois pas, comme je l’entends crier autour de moi, que le siècle soit impie. Tous les esprits élevés ont gardé la notion de Dieu, et ceux mêmes dont l’éducation n’a pas développé les facultés possèdent un instinct religieux, à défaut d’idées précises sur les relations de Dieu avec l’humanité; mais il faut reconnaître que le sentiment religieux s’est transformé, et que les esprits se préoccupent aujourd’hui du sens moral beaucoup plus que de la partie merveilleuse du christianisme. Or le sens moral de la religion n’offre pas à l’imagination les mêmes ressources que la partie merveilleuse. Quand la foule ne croit plus aux légendes, il est tout naturel que les peintres les négligent, ou ne songent plus que rarement à les choisir pour sujet de leurs travaux.

Ai-je besoin de montrer que la transformation du sentiment religieux n’a pas joué dans l’histoire de la peinture un rôle moins important que la division de la richesse? Ce serait faire injure au bon sens des lecteurs. Pour apprécier la part qui revient à la religion dans le développement de l’imagination humaine, et en particulier dans le développement des arts du dessin, il n’est pas nécessaire d’avoir visité les galeries et les musées de l’Europe. La galerie du Louvre suffit pour établir ce que j’avance. Là toutes les nations sont représentées par l’expression du sentiment religieux. La grande Sainte Famille du divin Sanzio, composée deux ans avant sa mort; la Circoncision de Jules Romain, son élève chéri; la Vierge sur les genoux de sainte Anne, conçue par Léonard et peinte par son disciple bien-aimé, Bernardino Luini; le Christ au tombeau de Titien, prouvent clairement que l’Italie a dû au sentiment religieux ses inspirations les plus fécondes. Pour l’école française, il en est de même. Quoique Poussin ait embrassé d’une étreinte puissante l’âge païen aussi bien que l’âge chrétien de l’humanité, il est certain qu’il a trouvé dans l’Évangile et dans l’Ancien Testament le thème de ses plus beaux ouvrages. L’Histoire de saint Bruno, de Lesueur, est un argument présent à toutes les mémoires.

Division de la richesse, transformation du sentiment religieux, voilà donc les deux causes que nous pouvons sans hésitation assigner à l’affaiblissement de l’art en Europe. Quiconque a feuilleté l’histoire comprendra la légitimité de cette opinion. Pourquoi la France, malgré les deux faits dont je viens de parler et dont l’accomplissement est chez elle plus évident que dans le reste de l’Europe, occupe-t-elle pourtant le premier rang dans l’art contemporain? C’est que l’état a remplacé l’aristocratie et encouragé autant qu’il est en lui l’expression du sentiment religieux par la statuaire