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ils chasseront le daim et le renard, et la génération prochaine ne saura pas leur nom.

Il y a en Allemagne des artistes à qui l’église et l’état confient des murailles à décorer, et pour qui la vie est facile. Ils vivent dans l’abondance, sans autre patrimoine que leur pinceau. S’ils n’encaissent pas autant de thalers ou de florins que les peintres anglais encaissent de guinées, ils n’ont pourtant pas à se plaindre du sort; mais ils n’ont pas de sens déterminé, ils n’ont rien changé dans les doctrines ni dans les procédés de l’école allemande. C’est pourquoi nous ne sommes pas obligé de discuter leurs œuvres après avoir parlé de Cornélius et d’Overbeck, de Kaulbach et de Rauch.

Si nous avions conçu la pensée malencontreuse d’épuiser le livret, et d’analyser les cinq mille ouvrages exposés au palais des Beaux-Arts, nous aurions pu contenter bien des orgueils, car il y a des natures inquiètes, avides de bruit, qui préfèrent le blâme au silence; mais nous aurions été obligé d’abandonner la région des idées pour descendre aux détails les plus mesquins, et la discussion aurait perdu en dignité ce qu’elle eût gagné en développement. Aussi je suis loin de regretter les omissions qu’on me reproche : si pareille tâche s’offrait à moi, je l’accomplirais en suivant la même méthode.

J’arrive à la comparaison des différentes écoles de l’Europe. D’après le développement que j’ai donné à l’étude de chacune d’elles, le lecteur a déjà pu pressentir la valeur relative que je leur attribue. Cependant, comme je ne veux laisser aucun doute sur le fond de ma pensée, je crois utile de présenter mon opinion sous une forme précise et d’en expliquer les motifs. L’Italie, la Belgique et la Hollande occupent le premier rang dans l’histoire de la peinture. Quelle que soit ma sympathie pour les grands noms de l’art français, j’essaierais vainement de contester ce fait : dans le domaine de la peinture, notre pays ne vient qu’après l’Italie, la Belgique et la Hollande. Dans le domaine de la statuaire, je crois pouvoir affirmer qu’il vient immédiatement après l’Italie, car si les noms de Donatello, de Ghiberti, de Buonarroti dominent la sculpture moderne, l’Europe entière, l’Italie exceptée, doit s’incliner devant les noms de Germain Pilon, de Jean Goujon et de Pierre Puget. Eh bien! nous avons vu que ni la Belgique, ni la Hollande, ni l’Italie ne soutiennent aujourd’hui la gloire de leur école. Elles s’en tiennent aux procédés matériels, elles appliquent avec adresse des recettes de métier et négligent les principes fondamentaux qui régissent toutes les formes de l’imagination. Pour ces trois pays, on peut le dire sans injustice et sans raillerie, Raphaël, Rubens et Rembrandt appartiennent aux âges héroïques. Leur mémoire est vénérée, mais leurs enseignemens ne sont pas suivis. La source où puisaient ces illustres aïeux semble