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comme prisonnier à Constantinople, mais que la Porte renvoyait dans ses foyers, libre et comblé de présens. Cet acte de générosité tenait à un nouveau système dont la Porte voulait essayer pour se populariser parmi les indigènes, qu’elle espérait en outre rallier à sa cause par le sentiment religieux, en leur faisant entrevoir en perspective la guerre sainte contre les infidèles établis en l’Algérie. Elle n’avait pas caché qu’Ahmed-Muchir se rendrait à Tunis très probablement. « Ce serait, disait-elle aux représentans des puissances européennes, pour rassurer le bey sur les craintes que le langage de l’ex-capitan-pacha aurait pu lui faire concevoir. » Comme il était parfaitement permis de croire le contraire, la prudence ordonnait de prendre des mesures pour que la présence de l’escadre ottomane dans les eaux de Tunis n’y amenât aucun événement qui pût être préjudiciable à la France. Ces mesures furent prises en effet : l’active surveillance que fit exercer sur le littoral africain M. le vice-amiral Lalande, commandant de nos forces navales dans la Méditerranée, la présence à Tunis de cet officier-général lui-même, déjouèrent les projets des Turcs, qui n’eurent d’autre résultat que la fin tragique de Chekir le sahab-tabah, mis à mort par ordre de son maître, informé de ses relations coupables avec les agens de la Porte. Le capitan-pacha rentra à Constantinople après cet échec. D’ailleurs la prise de Constantine coupa court aux étranges espérances du divan. Le bey Ahmed, errant et fugitif, continua, il est vrai, sa correspondance avec les Turcs de Tripoli, mais ce qu’il demandait au grand-seigneur n’était qu’un refuge sur ses terres. Peu satisfait de l’accueil qu’on fit à sa requête, le malheureux bey renonça à rien solliciter des Osmanlis, et après plusieurs années de la vie la plus pénible, c’est à Alger même, sous la sauve-garde d’un vainqueur généreux, qu’il vint reposer sa tête[1].

Pendant que le capitan-pacha Ahmed-Muchir échouait dans sa mission équivoque, Hassan, qui avait remplacé Taher dans le gouvernement de Tripoli, avait mis en vigueur le système de modération que la Porte semblait avoir adopté. Laissant Gumma trôner à son aise dans ses montagnes, il songea à négocier avec Abd-el-Djelil, qu’il espérait lui opposer. La base de la négociation fut la reconnaissance officielle de ce chef comme émir du Fezzan et du reste du pays qu’il occupait, moyennant un tribut annuel de 25,000 piastres fortes. Abd-el-Djelil se serait engagé à les payer, sauf à n’en rien faire plus tard, afin de s’ouvrir pour un peu de temps le marché de Tripoli, dont il avait besoin; mais Hassan, pressé par le manque d’argent, ayant demandé en outre le paiement immédiat de l’arriéré des anciens tributs

  1. Ahmed y est mort paisiblement en 1851.