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— Des horloges ? dit le Sendric, des tourne-broches ? Moi, je fais des tourne-broches ?

— Eh ! oui, vous en faites. N’essayez pas de jouer au plus fin ; vous êtes pris. Oh ! quel front ! Il n’en convient pas ! Et pas plus tard qu’hier matin, qu’avcz-vous donc fabriqué ? Et l’autre dimanche après vos écritures, vos pattes de mouches ? Hein ? vieux renard ! Des tourne-broches, des tourne-broches ; osez donc le nier !

Le Sendric ne répondait pas ; il s’apprêtait à scier un tronc d’arbre. La tante l’appelait d’une voix câline : — Sendriquet ! Sendriquet ! arrivez donc vous reposer un peu par ici. Laissez-moi ces yeuses ; le bûcher est plein ; rien ne presse, et vous êtes fatigué, peccaïre ! Voulez-vous donc toujours vous abîmer de travail ? Venez, venez vous délasser sur cette chaise, et nous causerons comme une paire d’amis. Ménagez-vous, mon bon. Pour sûr, vous en faites trop. Il y a temps pour tout, notre homme, et si vous forcez la nature, vous ne ferez pas long feu. Avec ça que vous êtes déjà si vaillant ! vous tomberez tout d’un coup, et vous tomberez étique ; c’est comme je vous le dis ; il ne faut pas croire que vous soyez de fer et de bronze, d’autant que pour vous soigner vous n’écoutez personne ; vous prenez un teint vert qui ne me dit rien de bon. Et quels yeux ! quelle voix ! Vous semblez un fantôme ; c’est une pitié ! Jaune comme un coing ! Et maigre ! maigre ! à passer entre les cornes d’une chèvre !

Le Mitamat sciait silencieusement son chêne. Pour le piquer et l’exciter à la riposte, la tante répétait sur tous les tons : — Vous rougissez donc bien de notre métier de fournier ? On dit partout que vous voulez vous mettre horloger. A votre âge, c’est un peu tard pour changer d’état. Pierre qui roule n’amasse pas mousse. Monsieur méprise ses gens et son village. Monsieur veut être bourgeois dans les villes, la canne à la main. Qui verra rira.

Quoi qu’elle fît, elle ne réussit pas à l’émouvoir. Le Sendric scia toutes ses bûches sans lever la tête, et lorsqu’il les eut empilées, d’une enjambée il vint jusqu’à la porte. — Tante Laurence, peut-on passer maintenant ?

— Non, non, non !

— Très bien, dit-il ; je m’en vas faire une échelle. Voyez-vous ce fagot, notre tante ? J’ai là de quoi tuer le temps jusqu’à la brune, à leur retour. Aussi bien ces barres de saule étaient trop belles pour être mises au four. Quand elles m’auront passé par les mains, ce sera un plaisir. Regardez-moi travailler ; il y en a de plus gauches que moi.

A l’arrivée des gens de la foire, l’échelle était terminée, et le Sendric ratissait, ratissait toujours. La tringle de fer rougissait au feu. tout le fagot était à terre débité en barres, barreaux et planchettes. Il avait disposé toutes ses pièces pour monter des chaises ; il en