Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/387

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ceux qui sont au village à sécher d’ennui. Vous le voyez maintenant, lorsqu’on est séparé, le gros chagrin, c’est pour ceux qui restent. À votre tour aujourd’hui ! Il n’est pas mal que vous appreniez par vous-même que la maison n’est pas très gaie pour ceux qu’on y délaisse. Enfin, sans rancune et de bon cœur, je vous offre ma compagnie. Si vous voulez, nous allons profiter de cette matinée pour causer à la douce, comme une paire d’amis, et de tout ce qui vous intéresse. J’en ai long à dire, savez-vous ? Je ne suis pas dans les personnes d’esprit, mais j’ai beaucoup de jugement, et qui m’écoute n’y perd rien. Vous n’avez à pétrir que sur le midi au plus tôt, et réglé comme vous êtes, je sais bien que vous ne changerez pas vos heures. D’ici là, si le languir vous prend, je suis toute à vous. Allons, père Sendric, puisque vous ne savez que faire de votre personne, venez un peu vous asseoir à mes côtés, sur l’escabeau ; nous allons essayer de vous distraire.

Le Sendric lui répondit : — Ce n’est pas le travail qui manque, notre tante. Pour l’heure, je vais vous relever ces fumiers tout au long du mur, sans m’écarter. Quand vous aurez besoin de moi pour vous servir, appelez.

— Oh ! ne vous gênez pas pour moi, dit-elle ; si vous avez à courir dehors, je ne vous retiens pas, vous êtes votre maître ; partez, partez. Vous n’aimez guère votre intérieur, c’est certain, et l’on dirait que cette maison va s’écrouler sur vous, tant vous redoutez d’y entrer. C’est peut-être à cause de moi ; ma présence vous pèse, je le vois bien ; ma société vous déplaît, vous avez une dent contre moi, je le sais, je le sais. Et pourquoi, juste ciel ! Qu’avez-vous à me reprocher ? L’intérêt que je vous porte. J’ai beau chercher, je ne vois pas quel tort j’ai pu vous faire. On vous aura monté contre moi. Je ne sais pas qui vous pousse, mais vous êtes bien mal conseillé. Voyez, voyez ! à présent même, je suis à vous parler raison, et vous ne m’écoutez déjà plus. Vous êtes au supplice, vous voudriez déjà prendre la clef des champs, les pieds vous brûlent ; partez, partez. Qui vous retient ? Laissez-moi dans la solitude et l’abandon ; j’y suis habituée ; un jour de plus ou de moins, je ne compte plus.

— Eh bien ! l’on va rentrer, l’on rentre, dit-il en lançant la fourche sur les fumiers. Me voici. Êtes-vous contente ? Que voulez-vous de moi ?

— Moi ? de vous ? Rien, rien, rien. Si c’est pour moi que vous êtes rentré, vous avez grand tort. Qui vous cherche ? Juste ciel ! qui vous cherche ? Partez, restez, sortez, à votre fantaisie, et que m’importe ? Vous êtes votre maître. Moi, je ne demande rien, je ne veux rien, je n’attends rien, ni de vous ni de personne ; je me suffis. Moi, vous appeler ? Oh ! jamais, jamais, je vous le jure !