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Canal ? Ils en auront bien pour huit jours avant d’avoir tout coupé ; c’est loin, et quels chemins ? Nos mules auront leur travail ; heureusement qu’elles sont les plus belles et les plus fortes du pays. Moi, si j’étais maire comme vous, je ferais faire de grandes routes dans toute la montagne, et je voudrais monter en carrosse jusqu’à la Sainte-Croix. Avec la poudre, on brise tout !

Le maire partit au galop. Quelque diligence qu’il fît, il n’arriva à Canal que dans l’après-midi. Il passa encore une heure ou deux à battre le pays, tout au long des lisières du bois. — Marius, se dit-il, voilà une journée perdue. Ce rôle de César me coûtera cher ; il me le faut à tout prix.

Il était décidé à ne pas rentrer à Lamanosc sans avoir vu Marcel Sendric ; mais comme ces passages de montagne lui étaient entièrement inconnus, il ne savait plus de quel côté se diriger. Il aperçut alors au milieu des joncs un petit berger qui s’étendait à plat ventre au bord d’une source en puisant de l’eau dans son soulier. Le troupeau courait à la débandade dans les taillis réservés. A l’appel du maire, l’enfant prit la fuite et disparut derrière une roche en sifflant ses chèvres. Tirart se lança à sa poursuite bride abattue. L’avantage n’était pas de son côté. Le chevrier courait comme un serpent sur la corniche du piton ; le maire tournait autour en faisant dresser sa jument, mais à chaque instant la Leydette bronchait ou trébuchait au milieu des mûres et des racines hors de terre, et le petit sauvage répondait par un éclat de rire strident.

— Ah ! méchant gueux, cria le maire en tirant de son gousset une monnaie d’argent, pourquoi ne veux-tu pas gagner la pièce ? Vois comme elle luit ! Il y a le portrait du roi ! Deux mots, et c’est pour toi. Veux-tu me conduire ? Je te promets encore un beau fifre pour la Saint-Antonin.

— Vrai ? dit l’enfant. N’est-ce pas mensonge ?

— Je suis Tirart, dit le maire. As-tu vu Espérit ?

— Faisons pacte, dit le berger ; mais n’avance pas. D’abord jure-moi qu’il n’y aura pas de prison.

— C’est juré ; mais descends vite, et montre-moi mon chemin.

— Votre chemin ? dit le chevrier d’un air de finesse. Vous le connaissez mieux que moi.

— Oui ou non, veux-tu la pièce ? De quel côté a passé Espérit ?

— Et il n’y aura pas de prison pour lui ?

— Ni pour lui ni pour personne. Me prends-tu pour un gendarme ? Vous êtes donc tous en contravention, tas de bandits ? Mais ce n’est pas mon affaire. Que le gouvernement défende ses forêts ! Vois la pièce, comme elle brille ! Franc argent !

L’enfant regardait la pièce avec des yeux ardens ; une vague