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Il fit appeler Espérit et lui dit : — Il faut faire aujourd’hui même tous les changemens. Il est arrêté que Lucien sera César.

Le terrailler refusa net. Le maire insista. — N’en parlons plus, dit Espérit ; c’est le rôle de Marcel, et si j’ai un regret, c’est d’avoir cédé Antoine à votre Lucien. À vous parler franc, il ne nous revient guère.

Tous les tragédiens se trouvèrent de l’avis d’Espérit. Le maire, irrité par ces oppositions, se contenait à grand’peine. Il se rendit à la commune en maugréant ; il brusqua les affaires et malmena ses conseillers. Dès qu’il fut libre, il sella sa jument, la Leydette, et partit pour Seyanne. Il avait pris le parti d’aller demander directement le rôle de César à Marcel.

En arrivant à Seyanne, le maire trouva la boulangerie fermée. Il appela, heurta aux fenêtres, sauta dans les cours, chez les Sendric, chez les voisins : personne ne répondit. Du rempart à la place de l’église, toutes les portes étaient barrées ; la rue était déserte ; les chats dormaient sur les murailles, les poules sautaient dans les jardins et s’en allaient à la picorée. Le maire traversa tout le village sans rencontrer âme qui vive. De guerre lasse, il reprit le chemin de Lamanosc ; mais à la Calade, en entendant de loin les chansons des lessiveuses, il revint sur ses pas et descendit au lavoir. Au milieu des enfans qui manœuvraient par là, armés de roseaux, M. Tirart reconnut Damian Sendric, le frère de Marcel. Damianet commandait l’exercice et faisait aligner ses amis au bord de la rigole, les pieds dans l’eau.

— Où sont tes gens ? dit le maire.

— C’est à moi qu’il faut parler, dit le petit Damian ; c’est moi qui garde la maison. Vous faut-il du son ou de la farine ?

— Il me faut ton frère, et sur l’heure !

— Ma mère la Sendrique est en foire, dit Damianet ; mon parrain l’a accompagnée avec les cousines. La tante Laurence a toujours ses douleurs, et vous la trouverez filant sa quenouille. Allez lui dire bonjour ; elle en sera contente. Entre temps, je monterai votre cheval, et je le ferai sauter dans la rivière pour l’amuser.

— Et ton frère ?

— Je vais vous dire à quelle heure Marcel est parti avec Spiriton. On venait de passer la crécelle dans la rue pour le catéchisme. À Lamanosc, est-ce que vous faites la doctrine dans la matinée, comme ici ? Pour moi, j’aimerais mieux que ce fût sur le tard.

— De quel côté sont-ils partis ? dit le maire.

— Il y a une heure, par les Grands-Vallats. Savez-vous un chemin plus court ? Par où donc voulez-vous qu’ils prennent, puisqu’ils ont acheté une coupe de fayards à Yentoux, dans la combe de