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blé. A mesure qu’il tombe sous la faulx, la faucille ou la machine, des hommes, des femmes, des enfans, s’empressent de le remettre debout. Les bottes ainsi réunies sont disposées de façon à former une sorte de toiture aiguë sur laquelle deux autres rangées de bottes réunies près du bas de la tige, à l’aide de liens passant de l’une à l’autre, forment une couverture. En quelques autres localités, on réalise des conditions analogues en plaçant debout sur le sol plusieurs gerbes, les épis serrés en haut et les tiges assez écartées en bas pour former une sorte de cône stable maintenu par un lien. On prépare en même temps, avec plusieurs gerbes, une très forte botte qu’on lie serrée près du bas des tiges. Cette botte, retournée de telle façon que les épis pendent, est entr’ouverte et posée sur le cône debout. Dans les deux cas, on évite les causes graves d’altération que présentent les javelles couchées sur le sol, laissant les épis gorgés d’eau germer, devenir la proie des insectes et des moisissures, au détriment de la santé publique et de la fortune des agriculteurs. On peut donc attendre que la pluie ait cessé pour rentrer ou mettre en meules la récolte. Ces dispositions favorables ne sont pas exclusivement réservées aux céréales; on les emploie avec le même succès pour plusieurs légumineuses comme les fèves, pour des plantes textiles comme le lin. Cette méthode procure d’autres avantages non moins importans : les céréales coupées avant la maturité entière du grain ne le laissent pas tomber à la moindre secousse sur le sol, et la maturité s’achève dans les meilleures conditions. Les épis, ne se pouvant dessécher trop tôt, absorbent par degrés, au profit du grain, les sucs accumulés dans la partie supérieure de la tige, et que ne pouvait plus accroître la portion inférieure plus âgée, sans énergie pour puiser aucuns sucs nutritifs dans le sol. En définitive, on obtient ainsi des grains meilleurs, plus pesans, plus faciles à conserver, et occasionnant bien moins de déchets à la mouture.

Ces faits sont bien connus et appréciés de nos agriculteurs instruits; malheureusement ceux-ci ne forment pas encore la majorité chez nous. Quant aux autres, voyez-les faire, écoutez ce qu’ils disent. — Le vent vient de l’est ou du nord; ce n’est pas un vent de pluie, le ciel n’est pas couvert. — S’il y a quelques légers nuages, s’il se forme autour de la lune une auréole plus ou moins grande, ils regardent et disent : Le cercle autour de la lune est bien petit, la pluie est bien loin. Guidés enfin par quelques autres pronostics, ils ajoutent : Nous n’aurons pas de pluie; le blé sera d’ailleurs bientôt abattu, et nous aurions bien du malheur, si nous ne parvenions à le rentrer assez tôt. — Si le temps les favorise, ils s’applaudissent du bon parti qu’ils ont adopté sans se douter qu’alors même, en égrenant leurs épis trop mûrs, ils éprouvent une perte réelle; mais le plus