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ligne l’écoulement des eaux, que retiennent en surabondance les terres fortes ou argileuses. Sur ce point encore, les agriculteurs anglais ont ouvert la voie la plus sûre et la plus économique. Au retour d’un voyage que je fis en 1850 dans les trois royaumes unis de la Grande-Bretagne, je signalai le drainage tubulaire comme la plus grande amélioration agricole du XIXe siècle. Aujourd’hui il est devenu superflu d’insister sur les conséquences utiles de l’écoulement des eaux stagnantes du sous-sol, qui, substituant à ces eaux souterraines nuisibles l’air atmosphérique indispensable à la respiration des racines des plantes, permet ainsi l’accomplissement des phénomènes d’une végétation active à une profondeur plus grande, et fait disparaître une cause de refroidissement capable de retarder la végétation. Outre les services qu’il rend à l’agriculture, le drainage a aussi d’autres résultats hygiéniques, car il combat l’humidité permanente, cause des fièvres endémiques, et procure à certaines localités un assainissement de l’air qui ne peut manquer d’y prolonger la durée moyenne de la vie.

Quels que soient les procédés mis en usage pour bien préparer la terre, on doit épurer avec soin la semence qui doit lui être confiée, et nous pouvons atteindre ce but par des moyens nouveaux très efficaces. A l’aide d’ingénieux ustensiles, notamment du trieur Vachon, il est facile en effet de séparer économiquement des beaux blés choisis comme semence les graines diverses plus petites ou de formes arrondies. Cette utile précaution ne suffit pas toujours, car le blé sain en apparence peut retenir adhérentes à sa superficie, et notamment dans le sillon qui partage en deux lobes chacun de ses grains, les séminules ou spores de plusieurs champignons parasites. Afin d’enlever à ces semences microscopiques leur faculté germinative, on s’est depuis longtemps servi de chaux caustique en poudre qu’on mêle avec le grain, humecté d’avance. De cette pratique est dérivé le nom de chaulage, que l’on applique très improprement à d’autres préparations qui atteignent plus sûrement le même but, mais avec des agens tout autres que la chaux[1].

  1. Un des procédés les plus efficaces consiste à mélanger au grain une faible dose d’arsenic (acide arsénieux); mais la crainte d’empoisonnemens qui pourraient être dus au crime ou parfois au hasard a fait prohiber l’emploi de ce moyen. Un autre procédé mis en usage depuis très longtemps aux environs de Montpellier, en Alsace et dans d’autres localités, consiste à faire dissoudre 200 grammes de sulfate de cuivre dans 100 litres d’eau ; on renouvelle cette solution à mesure qu’elle s’épuise pendant qu’on y plonge durant vingt-cinq ou trente minutes le grain à chauler ; le blé mis en tas pendant quelques heures, puis étendu à l’air, est bientôt assez sec pour être semé. Les grains creusés par suite de diverses altérations surnagent ; on peut les enlever à l’écumoire et les mélanger avec la nourriture des poules sans qu’il en résulte d’accidens fâcheux. Matthieu de Dombasle, voulant éviter l’emploi de tout agent doué d’une certaine énergie toxique, substitua le sulfate de soude à triple dose au sulfate de cuivre ; opérant ensuite de la même manière, il fit ajouter au grain tout humide 2 kilos de chaux pulvérulente pour chaque hectolitre : le grain se trouva parfaitement garanti, par cette espèce de pralinage, des attaques ultérieures des cryptogames, et l’on ne trouva pas à la récolte plus d’épis cariés qu’en faisant usage du sulfate de cuivre. Si le blé chaulé par le sulfate de cuivre était exempt de propriétés toxiques notables (puisque les poules en pouvaient consommer impunément d’assez grandes quantités), l’emploi du sulfate de soude mêlé à la chaux devait être plus inoffensif encore ; mais toute la question n’était pas là, et dans une circonstance assez remarquable ou a pu regretter le chaulage à l’arsenic. En effet, dans plusieurs localités du Bas-Rhin, M. Boussingault a constaté que depuis la suppression de ce chaulage, les mulots avaient consommé presque toute la semence, et pullulaient sous l’influence de cette nourriture, devenue inoffensive.