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lucks. Les femmes ont sur la poitrine une espèce de cuirasse en laine bariolée par devant de dessins et de fleurs, noire ou rouge par derrière, des manches longues et étroites, également en laine ou en percale rayée, une jupe bleu-foncé ci un tablier blanc. Leur bonnet se rapproche pour la forme de la mitre des anciens évêques ; des deux côtés de la tête coule une touffe de cheveux blonds, non frisés, qui rappellent par l’éclat de la couleur J’épithète donnée aux anciens Bataves, auricomi Batavi<ref> Les femmes romaines se montraient, dit-on, fort jalouses de cette chevelure, qu’elles se procuraient dans le commerce, ou dont elles imitaient la couleur par des moyens artificiels. <<ref>. Ce costume est commun à tous et à toutes : il consacre par un trait visible l’égalité des conditions sociales. On ne connaît point à Marken de distinction de rang ni d’état. La mode est un mot qui ne correspond à rien : la coutume règle les changemens, très légers du reste, que doit subir la toilette. Le costume ordinaire est remplacé les jours de fête, de foire, de noces, de fiançailles, par un autre vêtement plus orné. Chacune de ces solennités a un vêtement spécial. À Marken, on rencontre d’ailleurs très peu de jolies filles, tandis que beaucoup d’adolescens ont une figure intéressante. Ce contraste se remarque dans toutes les races qui ont conservé plus ou moins intact l’état de nature : c’est surtout la civilisation qui a créé la beauté de la femme.

Le caractère est particulier comme le costume. Les hommes et les femmes se marient entre vingt-quatre et vingt-huit ans. On se préoccupe d’accorder les inclinations et les âges, non les fortunes. Ce que dit Tacite en parlant des mœurs des anciens Bataves est ici de l’histoire vivante ; on ne connaît point d’adultères, nulla adulteria. « La femme n’épouse point son mari, mais le mariage. » Les séparations sont très rares ; de mémoire d’homme, on n’en cite qu’une seule. La naissance d’un enfant naturel est un événement qui ne se produit pas une seule fois en vingt années. Il arrive, comme chez les pêcheurs de la côte, qu’une fille donne avant le mariage des signes de grossesse ; mais du moment qu’elle est, comme on dit en Hollande, dans un état béni, le mariage s’ensuit toujours. Quiconque agirait autrement, nous racontait un vieillard de l’île, n’oserait plus regarder la mer. En effet, la mer est la conscience visible du pêcheur ; il tient à se montrer devant elle honnête et pur. La vie de famille est exemplaire. Le mari étant absent une grande partie de l’année, soit qu’il voyage dans la Mer du Nord pour la pêche du hareng, soit qu’il s’occupe dans le Zuiderzée à la pêche des anchois, c’est à la femme que revient l’éducation des enfans. Cette charge, qui constitue le premier de ses devoirs domestiques, est remplie avec une scrupuleuse vigilance. On aura une idée de l’étendue de ses fonctions et de la gravité de son fardeau moral,