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visiterons les habitans des îles, qui ont pour unique industrie de jeter leurs filets dans le golfe. En face de Monnikendam s’élève la petite île de Marken[1]. Une barque surmontée d’une voile y conduit en moins d’une heure par un bon vent ; mais cette heure met des siècles entre les habitans de l’île et ceux du continent. L’entrée du port est étroite : on n’a pas osé l’agrandir dans la crainte que la pression des eaux ne causât des désastres par un vent nord-ouest. Construit en 1834 et amélioré en 1853, ce port est d’ailleurs excellent ; des bâtimens de pêche serrés les uns contre les autres y dressent fièrement leurs mâts. À terre, vous vous trouvez sur un sol plat et uni, de niveau avec la mer, et que protège une digue de circonvallation. À la surface de cette plaine s’élèvent des tertres construits de main d’homme, sur lesquels se sont établis des groupes de maisons décorés du titre de bourgades. Le voyageur peut ainsi juger par ses yeux le procédé de construction employé par les premiers habitans de la Hollande pour défendre leurs demeures contre les eaux. Ces bourgades, au nombre de huit ou dix, et dont une ne se compose que de six maisonnettes, ont toutes des noms, et même d’assez jolis noms, la Tour-de-Feu, le Bourg-des-Roses, etc. Les maisons sont construites en bois, les unes peintes, les autres goudronnées, couvertes de tuiles ou de chaume. La plupart des bourgades se ressemblent : il y en a pourtant une qui se distingue entre toutes par le luxe de ses constructions, et qu’on appelle ici la capitale de Marken : c’est la Bourgade-de-l’Église. La maison du pasteur (la pastorie) y est bâtie en pierre. Un cadran solaire en bois, un jardin fruitier composé de quatre grands arbres (les seuls à peu près qui existent dans l’île), des volets qui préservent de la pluie et des vents de mer, en voilà assez pour que les habitans considèrent cette demeure comme un ornement dont ils ont lieu d’être fiers. Près de la maison du pasteur s’élève l’église ; à côté de l’église, l’école, et non loin de l’école, la maison de ville. L’église est un bâtiment neuf, reconstruit en 1846 avec une toiture de zinc ; les eaux ont pénétré déjà dans l’intérieur, qui exige de grandes réparations. Les habitans de Marken, au nombre

  1. L’origine du nom de Marken ou Marsch a beaucoup exercé les antiquaires. Quelques-uns veulent que la population de cette île tire son origine des Marsaces, Marmtii, dont il est fait mention dans Pline et dans Tacite. Ces Marsaces occupaient autrefois un coin de terre dans le lac Flévo. L’île de Marken fut séparée du continent à la fin du XIIIe siècle. Anciennement elle formait une des propriétés d’un cloître de la Frise. C’était alors une contrée délicieuse, et on y voyait de magnifiques jardins, entretenus par Les moines. D’abord la séparation de Marken et du continent n’avait qu’une largeur de quelques pieds ; on passait d’un bord à l’autre au moyen d’un pont de bois : peu à peu la déchirure s’augmenta ; des campagnes très fertiles furent minées par les eaux, et les paysans se trouvèrent transformés en pêcheurs. L’état actuel de l’île est très peu connu des Hollandais eux-mêmes. À Marken, l’arrivée d’un étranger est un événement : on le regarde avec surprise comme un être tombé de la lune, mais sans malveillance.