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d’austère et de cénobitique : on est d’ailleurs forcé de convenir qu’il s’adapte bien au climat et à la profession. Un grand chapeau de grosse paille, bordé d’un ruban noir, doublé d’une indienne à fleurs, abaissé Légèrement de chaque côté, relevé par derrière et par devant en forme de nacelle, leur sert à maintenir sur la tête jusqu’à trois et quatre corbeilles. Ces femmes ont une stature robuste, une grande taille, une figure médiocrement jolie, mais qui respire un air de santé, — des yeux bleus dont les paupières sont peu ouvertes, et des membres vigoureux. À trente ans, elles ont déjà beaucoup perdu de leur fraîcheur ; leur peau est hâlée, circonstance qui tient sans doute au voisinage de la mer et à l’habitation dans les dunes. Les dunes constituent un pays dans le pays même ; le sable y réfléchit, plus fortement qu’ailleurs les rayons du soleil : c’est l’Arabie de la Hollande. Les hommes sont relativement de petite taille ; leur costume, pantalon et veste noirs, favorise peu leur tournure, qui est grave, mais lourde. Ils ont le visage rond, le col court, les cheveux le plus souvent bruns et frisés. Leur grand luxe consiste dans des boutons de chemise et dans des boucles d’argent, qu’ils attachent aux pieds ou à la ceinture. Cette persistance dans le costume, surtout dans celui des femmes, cette fixité des traits physiques, ces caractères de race qui se conservent par le soin qu’ont les garçons et les filles de Scheveningen de ne se marier qu’entre eux, tout cela est peut-être une conséquence du commerce avec la mer. L’Océan, dans lequel certains poètes ont cru voir une image de l’inconstance, est au contraire, comme l’a très bien fait observer Byron, une image de l’éternité : c’est, de tous les élémens, celui qui a subi le moins de vicissitudes depuis l’origine du monde. Tel l’aurore de la création l’a vu naître, et tel il roule encore maintenant. Il se déplace ; il ne change pas. Aux forces du temps, qui minent les rochers, qui altèrent le niveau des continens, qui transforment la nature vivante et les destinées humaines, il oppose, lui, sa mobile stabilité.

Les mœurs des pêcheurs qui habitent la côte participent du caractère de l’Océan. Ils n’ont aucune des habitudes de la ville. Le fond de leur caractère est l’indépendance. Scheveningen ne fournit presque pas de domestiques : filles et garçons, aucun ne veut servir. Il semble que le commerce avec la mer développe le sentiment de la dignité humaine. Les pêcheurs ne veulent point de maîtres ; pauvres, mais libres, ils ne reconnaissent aucune autorité ; ils n’obéissent même point à l’armateur. Le patron part à son heure et quand il veut ; l’équipage le suit, non par subordination, mais par sentiment du devoir et par besoin. Les pêcheurs fuient le service militaire ; ils résistent à la conscription : ce ne sont point les dangers du métier des armes qu’ils détestent, c’est la discipline. Les grandeurs de la vie militaire ne leur en dissimulent point les servitudes. Ces hommes