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ils reviennent toucher le port de Vlaardingen après un voyage, c’est pour repartir bientôt. Identifiés avec la mer, avec son calme et ses fureurs, ses bons et ses mauvais jours, ils vivent des présens qu’elle leur fait, ou mieux qu’ils lui arrachent. En retour de cette existence dure, pleine de fatigues et de labeurs, livrée à toutes les violences des élémens, ces hommes, qui ont fait la grandeur politique et commerciale de la Hollande, reçoivent un mince salaire : un pêcheur gagne de 250 à 300 florins par an (600 fr.). On se demande ce que deviennent les femmes à Vlaardingen pendant que dure la pêche, c’est-à-dire presque toute l’année. Elles prennent soin du ménage ; le reste du temps, elles travaillent à faire du filet chez elles ou dans les ateliers. Ce demi-veuvage ne semble pas d’ailleurs leur être très pénible : elles se consolent dans leurs enfans, qui sont nombreux, et auxquels elles servent à la fois de père et de mère. Quand le mari ne revient pas, on l’attend triste et inquiète, on l’attend longtemps, puis on finit par se résigner à cette absence qui ne finit plus. Autrefois la loi interdisait de se remarier avant dix années aux femmes qui ne pouvaient point produire la preuve matérielle de leur veuvage. Or quelle preuve les pauvres femmes de Vlaardingen auraient-elles fournie de la mort de leur mari ? L’Océan ne signifié point les décès, et la preuve d’un naufrage est dans l’absence même de toute nouvelle. Les mœurs avaient à souffrir de cette disposition légale ; tout le monde n’a point l’opiniâtre fidélité de la femme d’Ulysse. On a sagement fait en modifiant cet article, et en permettant aux femmes de pêcheurs de se remarier après trois années.

L’état de la ville de Vlaardingen, ses rues attristées, son port silencieux, ses bâtimens de mer qui vieillissent et qu’on ne renouvelle pas, tout annonce l’état de souffrance dans lequel est tombée la grande pêche. Et que dire de Maasluis ? C’est encore une bien autre désolation. Ce pauvre village, assis sur un bras de la Meuse qu’il est question de supprimer, a l’air d’un condamné à mort qui demande grâce. Si triste que soit la condition actuelle de la grande pêche, il ne faut pourtant pas prononcer légèrement le mot de décadence. Ce qui a vieilli, ce qui s’écroule en ce moment, c’est l’édifice des primes, ce sont les formes sacramentelles d’une organisation qui a eu de l’éclat, mais qui n’a plus de raison d’être. Nous ne doutons point que la poche hollandaise ne se régénère sous un régime de liberté. La ville de Vlaardingen conservera d’ailleurs longtemps l’avantage que lui donnent son excellent matériel de pêche, la renommée de ses produits et l’habileté de ses matelots[1].

  1. En même temps que les armateurs de Vlaardingen ont perdu un privilège, ils en ont d’ailleurs conquis un autre. Depuis ces deux dernières années, ils n’ont plus exclusivement le droit de préparer le hareng de saumure ; mais en revanche ils peuvent faire du hareng fumé. Grâce à ses robustes buizen qui sont capables de tenir la haute mer durant trois et quatre mois de l’année, Vlaardingen fumera désormais des harengs qui, à cause du volume, seront plus recherchés que les autres sur le marché de la Belgique.