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des Provinces-Unies, payé les flottes, étendu le commerce, tout esprit sage et pratique se serait bien gardé d’en rire ; mais aujourd’hui que ce côté utile a disparu, le royaume des Pays-Bas a mieux à faire que de mettre son point d’honneur dans un hareng.

Il est bien vrai que là ne s’arrête point la portée économique de cette industrie : la grande pêche repose sur un fond plus sérieux que le commerce de primeur. Quand les cinq bateaux chasseurs ont rapporté l’un après l’autre la fleur de ce qu’on appelle ici la pêche de saison, les hommes continuent de jeter leurs filets, et les doggers rentrent en Hollande avec leur butin. Ces bâtimens peuvent tenir de 420 à 450 tonnes ; mais il est très rare qu’ils retournent avec un chargement complet. Nous avons vu revenir dernièrement à Vlaardingen deux bateaux-pêcheurs qui, après une absence de sept semaines, rapportaient chacun 150 tonneaux : les armateurs se montraient tout à fait contens du résultat. L’ensemble de la grande pêche donne à peu près 34,000 barils de hareng pec, dont 21,000 sont exportés et produisent en moyenne 456,000 francs. Ces chiffres sont respectables sans doute ; mais, quand on les rapproche du mouvement de la pêche anglaise, quelle différence ! En 1849, l’Angleterre avait déjà sur les mers 14,962 bateaux-pêcheurs, elle employait 104,427 hommes, et elle emplissait 770,700 tonnes de hareng caqué[1]. On est donc forcé de reconnaître que les pêcheries anglaises, dont le développement est tout nouveau, ont marché à pas de géant depuis le jour où elles ont secoué la chaîne des primes, tandis que les pêcheries hollandaises, autrefois si célèbres, sont demeurées stationnaires, et ont même rétrogradé sous le régime de la protection. Dans un temps où la révolution du bon marché atteint l’une après l’autre toutes les branches de l’arbre économique, un produit qui s’isole fastueusement dans sa renommée est un anachronisme. Le hareng hollandais, ce patricien coudoyé sur les marchés d’exportation par le hareng étranger, d’origine moins noble et de qualité moins délicate, mais qui se vend à prix réduit, ne peut plus soutenir la concurrence. Ces faits ont attiré l’attention du gouvernement des Pays-Bas : une enquête a été ordonnée ; le résultat de cette enquête a été de porter la lumière sur les côtés faibles de l’ancien système. Tous les intérêts ont été entendus ; ils sont venus l’un après l’autre plaider leur cause devant la commission, et nonobstant l’avis des intéressés, c’est-à-dire des armateurs, on a conclu que les privilèges dont jouissait depuis des siècles la grande pêche devaient s’effacer devant la liberté de l’industrie. Le gouvernement est entré

  1. Les résultats obtenus en 1850 précisent bien l’état de la pêche dans les deux pays. L’Angleterre a recueilli 507,024 lasts de hareng caqué ; la Hollande, 2,515. Le last représente quatorze tonneaux.