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élévation, futi atteint par les revers de fortune qui détrônent tôt ou tard toutes les souverainetés[1]. La Grande-Bretagne était entrée en lice : après avoir parcouru le système des primes et avoir entassé ruines sur ruines, elle finit dans ces derniers temps par appeler à son secours la liberté des pêcheries. De ce jour, le hareng hollandais, aristocratiquement cher, se vit non dédaigné, mais isolé sur la place. Pendant que l’Angleterre marchait, la vieille pêche néerlandaise, immobile sous ses chaînes d’or, esclave de sa célébrité, fière de ses primes et de ses privilèges, avait vu décroître d’année en année le nombre de ses buizen. Pour juger cette situation critique, il faut comparer à ce qui était ce qui est aujourd’hui. Un tel contraste nous mettra sur la voie d’une solution.

Jusqu’à ces dernières années, le départ des bateaux pour la grande pèche était fixé à la Saint-Jean (24 juin). Ce départ était précédé de fêtes. Il existe un livre de vieilles chansons hollandaises que chantaient les pêcheurs avant de se mettre en mer. On portait des toasts au succès de la pêche et l’on priait Dieu de bénir les filets. Enfin on attachait les voiles, et la flottille pacifique allait à la conquête du hareng. Aujourd’hui les daggers partent dans les premiers jours du mois de juin et peuvent dès lors ouvrir la pêche ; mais, fidèles aux traditions ou si l’on veut, aux préjugés, les pécheurs ne profitent qu’à contre cœur de cette liberté toute nouvelle. « Le hareng, disent-ils dans leur langage naïf, n’aime point à être pris avant la Saint-Jean. » En 1755, le nombre des buizen partant pour la grande pêche était de deux cent trente quatre ; en 1820, il était encore de cent vingt-deux ; il est aujourd’hui de quatre-vingt-dix. Ce groupe de voiles se dirige vers les côtes de l’Ecosse. Deux navires de guerre les accompagnent pour les protéger et les surveiller. Il est interdit aux pêcheurs de toucher la terre. Ils ne doivent pas non plus vendre de poissons à bord. La flottille se maintient à la hauteur des Shetlands, d’Edimbourg, et sur les côtes de l’Angleterre[2]. La réputation du hareng. hollandais tient surtout à la puissance des doggers, très bons bâtimens de mer, dont la constitution nautique permet de jeter les filets dans des eaux très profondes. Là seulement se trouvent les harengs de grande taille et d’une qualité supérieure. Treize ou quatorze cents hommes environ prennent part à ce travail de mer. À peine saisi par la main des

  1. Parmi les causes de la décadence de la grande pêche, il faut compter les guerres de l’empire : alors que les mers étaient fermées, la Hollande dut se résigner à voir tomber entre les mains des Anglais le plus beau fleuron de sa couronne économique.
  2. Nous avons vu un tableau dans lequel l’artiste, témoin oculaire de cette scène intéressante, a représenté la manière dont les bâtimens pêcheurs se comportent en mer. Il est difficile d’imaginer rien de plus poétique ni de plus imposant. Au milieu de ces abîmes d’eau peuplés par une force occulte, cresoite et multiplicamini, il semble que la faible créature humaine atteigne à la grandeur de la nature.