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l’admission dans les bureaux par un examen compétitif, c’est-à-dire à décerner 1rs places au concours. Or ainsi pense le ministère.

Le 21 mai dernier, un ordre de la reine en conseil[1] a nommé pour vérifier, suivant des règles fixes, l’aptitude des prétendans aux postes de junior dans tout établissement civil, une commission composée de sir Édouard Ryan, contrôleur général adjoint de l’échiquier, M. John Shaw Lefevre et M. Édouard Romilly. Il statue que les conditions de capacité pour chaque département seront déterminées par les commissaires avec l’assistance des chefs du département, sans qu’ils puissent jamais s’occuper des nominations faites ou à faire. L’examen d’admission sera suivi d’un temps d’épreuve ; mais toutes ces règles ne seront applicables qu’aux candidats qui sont au-dessous d’une certaine limite d’âge. Au-delà de cette limite, le chef du département conserve la liberté de ses choix.

Cette mesure, on le devine, n’a pas eu grand succès, et la société pour la réforme administrative, publiant son premier papier officiel, a, par une adresse au peuple, récapitulé tous les griefs et fait un énergique appel à l’opinion publique, qu’elle trouve froide. Oublie-t-on qu’à l’armée la mauvaise administration a tué trois hommes quand le feu n’en tuait qu’un, que de six millions sterling dépensés pour les transports, deux l’ont été en pure perte ? Ne sait-on pas que Peel a déclaré qu’il aimait encore mieux livrer les chemins de fer à des compagnies irresponsables qu’aux mains engourdies, torpid, du gouvernement, — que lord John Russell a raconté que M. Pitt avouait que dans toute son administration il n’avait jamais pu mettre exactement l’homme qu’il aurait voulu dans la place où il l’aurait voulu, — que M. Gladstone a dit qu’il lui faudrait deux bonnes heures pour rendre intelligible le système compliqué de pouvoir confié sans garantie à un chancelier de l’échiquier ? Mais M. Gladstone avait annoncé la résolution d’abolir en administration le patronage politique, et l’ordre du conseil le maintient ; il n’établit que des garanties illusoires, en confiant l’examen de capacité à des hommes qui, tels que M. Romilly, ont combattu le système du concours. C’est le moment de s’écrier plus que jamais : Les hommes de mérite aux places qu’ils méritent ! The right men in the right places !

Cependant la société ne dissimule pas sa surprise de voir si peu de réunions suivre son exemple. Malgré la polémique des journaux, la passion publique n’a pu s’emparer de la question, et quand la chambre des communes en a été saisie, elle l’a discutée comme une affaire ordinaire. Le 10 juillet dernier, une motion de M. Scully tendait à donner plus de force au système de l’ordre du conseil, en

  1. Les ministres ou le cabinet ne peuvent donner d’ordres qu’à leurs subordonnés. Les volontés du gouvernement qui sont générales ou obligent les sujets sont exprimées sous la formule d’ordres rendus en conseil, privy council, et non conseil de cabinet.