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produit de l’effet. Les erreurs qu’on y peut relever ne sont peut-être que des vérités exagérées, seule espèce d’erreurs où puisse tomber un excellent esprit trop ému. On a répondu avec beaucoup de raison à M. Greg qu’il avait oublié de montrer qu’un ministre, abandonné à son libre arbitre, dût gagner en discernement ce qu’il gagnerait en indépendance, et qu’il fût dans la meilleure posture pour faire de bons choix, quand on lui interdisait de choisir parmi ceux qu’il connaissait parce que ce serait faire du gouvernement une coterie, et d’avancer ses paréos de peur du népotisme, ou ses partisans de peur du job[1]. En insistant sur les inconvéniens ou les difficultés de la liberté, on ne prouve pas le mérite de la dictature.

Ces vues allaient au-delà d’une réforme administrative, et elles demeurent livrées à la discussion. Excités par l’exemple de M. Greg, cent écrivains ont publié des brochures ; les rédacteurs des revues sont entrés en lice, et toutes les questions que nous avons touchées ont été présentées sous des aspects qu’on s’est efforcé de rendre divers. Cependant la discussion a toujours roulé dans un cercle assez étroit. La Revue d’Edimbourg ne s’est prononcée que sur la réorganisation de l’armée, qu’elle réclame hautement ; elle se réserve sur le service civil. Ce que j’ai lu de mieux sur le service civil, ce sont les articles du North British Review, n° 45, et surtout d’une revue nouvelle qui paraissait pour la première fois, the National Review, juillet 1855. Ces deux recueils sont réformistes dans cette question, mais avec une modération éclairée. J’étais curieux de lire la Revue de Westminster, qui passe, comme on sait, pour l’organe du radicalisme ; mais les choses ont assez marché en Angleterre pour que ce mot ne désigne pas toujours en politique quelque chose d’excessif, et la Revue de Westminster, qui aurait du succès en France, si elle y était plus connue, se distingue surtout comme journal de la liberté philosophique. Elle s’est dégagée des liens d’un étroit benthamisme, et dans l’ordre spéculatif, elle donne souvent des articles remarquables. Quand elle parle du continent, elle n’est pas sans préjugés. A l’identité de certains noms qu’usurpent des partis fort divers, elle prend quelquefois pour siens des radicaux européens qui n’ont nullement ses idées, et combat leurs adversaires, sans toujours s’apercevoir qu’elle tire sur ses propres troupes, car au fond sa politique est modérée, du moins dans les questions pratiques, et notamment sur les points qui nous occupent, elle est loin de s’être jetée dans les exagérations. Ses deux articles, n° 14, l’un sur le service militaire, l’autre sur le service civil, sont judicieux, mais sans nouveauté. Le même numéro contient sur le ministère de lord Palmerston des réflexions qui

  1. Le job est ce qu’on appelle quelquefois en français une affaire. C’est tout arrangement dans lequel, sais forfaiture ni vénalité proprement dite, l’intérêt particulier se cache sous le voile de l’intérêt politique.