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d’officiers ne sont pas l’apanage exclusif de la noblesse; on ne voit de ces sottises-là qu’en Allemagne. La noblesse anglaise d’abord serait trop peu nombreuse. Puis son origine n’est pas seulement militaire; elle n’a point l’ancien préjugé de l’épée, et, hormis pour les héritiers de pairie (six cents personnes à peu près), toutes les professions lui conviennent autant que celle des armes. Assurément lorsque le fils, le neveu, le cousin d’un lord se présente, toutes les portes lui sont ouvertes, mais il ne les ferme pas derrière lui; la bourgeoisie trouve aussi l’entrée libre, seulement la bourgeoisie ne s’y porte pas en foule. La carrière militaire est recherchée par les fils d’officiers ou d’ecclésiastiques, mais non par les jeunes gens du commerce et de l’industrie. Il est vrai que les influences politiques, les connexions de parti, les recommandations parlementaires ou électorales servent beaucoup, surtout pour obtenir un grade que la mort ou la révocation mette à l’entière disposition du commandant en chef. Il en est de même pour les emplois d’état-major. Faute d’un apprentissage spécial un peu sérieux, ils sont abandonnés à la faveur. Cependant il ne résulte pas de tout cela un mauvais corps d’officiers, ni surtout un ensemble d’où ne pût sortir un bon corps d’officiers; mais l’éducation préparatoire leur a manqué, et l’éducation du régiment leur manque pour y suppléer. Comme on l’a remarqué, il n’y a pas, à parler exactement, d’armée anglaise, mais une collection de régimens qui ne sont jamais ensemble dans un camp, jamais accouplés par brigades ou réunis par division, jamais en contact de service avec les armes différentes de celle à laquelle ils appartiennent. Aux colonies même, il est rare qu’un régiment serve tout entier dans le même poste, et ce qu’on appelle l’unité régimentale est presque toujours démembrée. Ainsi, tandis que les généraux et l’état-major n’ont aucune occasion de voir l’armée et lui demeurent à peu près étrangers, les jeunes officiers sont rarement à portée d’apprendre leur état, même de connaître leur corps. A l’intérieur, dans les garnisons, on estime qu’un enseigne peut apprendre en six semaines tout ce qu’il est strictement tenu de savoir, et le service est en général surveillé et conduit par les sous-officiers. Il suffit de décrire cet état de choses pour le condamner; mais le moyen d’y mettre un terme est si simple. Que l’on conserve ou non l’achat des grades, quoi de plus aisé que d’instituer de véritables écoles militaires, et d’établir qu’on y entrera par la voie du concours, et que nul ne sera enseigne, s’il n’a passé par l’école ou s’il ne sort des rangs des soldats? Ce ne serait nullement fermer la carrière à l’aristocratie, ce serait lui offrir au contraire une nouvelle occasion de se distinguer et de constater une aptitude au service, qui peut-être serait proportionnellement plus commune dans ses rangs que dans les classes vouées spécialement