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maritime de l’Angleterre? On ne peut tout avoir, et il ne faut faire que ce qu’on fait bien. Quand la Providence a donné à l’Angleterre sa ceinture de mers, quand elle l’a préservée et dispensée des invasions, qui sont dans les possibilités de la Prusse, de l’Autriche, de la France, l’Angleterre a reçu des faits eux-mêmes le conseil que, par la bouche de Thémistocle, l’oracle donnait aux Athéniens. Une certaine infériorité militaire n’est insupportable que lorsqu’on peut l’attribuer au manque d’énergie ou de patriotisme. Or le peuple anglais n’a rien à craindre de ce côté, et son histoire lui a prouvé que, même avec des conditions d’infériorité numérique, il peut intervenir puissamment dans les démêlés de l’Europe. Certaines conquêtes, je le veux, lui sont à jamais interdites; mais qu’il ne le regrette pas : c’est peut-être par les mêmes invincibles raisons que son indépendance ne peut jamais être mise en péril.

Allons plus loin : on a supposé que dans la mesure de ses forces naturelles l’Angleterre pourrait avoir éprouvé un certain affaiblissement par l’effet de l’inaction et de la négligence. Pendant que les autres puissances profitaient d’une longue paix pour perfectionner leur système militaire, celui de la Grande-Bretagne serait resté stationnaire. Malgré l’excellente qualité des soldats, son armée aurait perdu l’aptitude à tenir la campagne. Trop rarement réunie par divisions, inaccoutumée à la vie des camps, aux longues marches, aux grandes manœuvres, et par sa composition même, mal connue de ses officiers, vieillie dans son état-major, dénuée de l’instruction nécessaire à chaque degré de la hiérarchie, elle serait plus propre à montrer sur les champs de bataille une bravoure chevaleresque qu’à supporter les travaux de la guerre d’invasion. Je répète ces allégations sans les garantir; mais quand cela serait, quand il serait vrai que quarante ans de paix, de développemens industriels, d’améliorations économiques, de réformes législatives, auraient engourdi la vie militaire dans le pays le plus libre, le plus riche et le plus tranquille, rien là ne dépasserait la prévoyance humaine, et dès le principe le gouvernement anglais aurait pu s’en aviser et se conduire d’après cette donnée. Sonder les reins et le cœur de l’état est un des devoirs de ceux qui le mènent.

Sans aucune jalousie et dans un esprit de bienveillante justice et de fraternité d’armes, les Anglais ont opposé à leur propre exemple l’exemple des Français. Nous n’avons nulle tentation de contester que l’épreuve de cette année ait été, aux yeux du monde, glorieuse pour nos chers soldats; nous disons même sincèrement que nous croyons aux Français plus d’aptitude naturelle à la guerre qu’aux Anglais, à la guerre, bien entendu, non au combat : il n’y a point de troupes plus braves que les troupes anglaises; mais faire la guerre n’est pas