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Angleterre, et les partis ne se précipitent plus avec fureur les uns contre les autres. Le changement de cabinet paraissait aller de soi, et n’exciter ni joie, ni colère. Par une disposition d’esprit qui caractérise notre époque, au lieu de rechercher comme autrefois la conduite du gouvernement dans un besoin de vengeance, on s’est presque uniquement proposé de savoir si la responsabilité ne devait pas remonter des ministres aux institutions administratives et politiques. On a eu l’air de se demander si la faute n’était pas au parlement qui avait maintenu, à la nation qui avait souffert des pratiques, des usages incompatibles avec la force d’un grand gouvernement, s’il n’y avait pas à découvrir un mal général et profond, si ce n’était point enfin le cas d’appliquer la panacée universelle : la reforme.

Ce serait une réforme motivée par une circonstance toute particulière. De quoi s’agissait-il? Des moyens de faire vivre en pays ennemi quarante ou cinquante mille hommes de bonnes troupes; mais c’est encore un des traits de notre temps que l’esprit de réforme se montre généralisateur, et dépasse volontiers le cercle des questions spéciales qui lui ont donné l’éveil. Ainsi le débat a monté de degrés en degrés d’une question de cabinet jusqu’à une question d’ordre social. Le premier point, celui auquel on se fût arrêté jadis, était de savoir si le pouvoir avait fait et s’il ferait aujourd’hui tout ce qu’il y avait à faire. Le second, c’était une question déjà touchée dans la session précédente, et qu’il fallait plus profondément résoudre. Le ministère, comme chargé du gouvernement de l’armée, était-il organisé d’une manière satisfaisante ? Puis, comme le gouvernement de l’armée n’est pas tout, cette armée, gouvernée bien ou mal, était-elle bien organisée elle-même, et les institutions militaires du pays n’étaient-elles pas à refaire? Voilà une troisième question, et on l’a posée. Mais l’organisation imparfaite de l’armée ne serait-elle pas une partie d’un tout qui ne vaut pas mieux? Si les choses d’administration n’ont pas été, comme la législation, l’objet de réformes opportunes, n’est-ce pas que l’administration même est mal constituée? Ainsi est née la quatrième question, celle de la réforme de tout le service civil. Enfin, ministère, armée, bureaux, tout cet ensemble qui a si peu varié depuis un siècle et demi, est lié aux institutions du pays, dépend au moins de la manière de les entendre et de les pratiquer, et s’il faut modifier les effets, n’y aurait-il rien à voir aux causes? S’il faut retoucher l’accessoire, le principal doit-il rester intact? La constitution a-t-elle été comprise et développée dans le sens le plus favorable à la grandeur de l’état? Et si elle ne l’a pas été, n’est-ce pas la faute du parlement et de la nation, c’est-à-dire de l’esprit qui les anime? Et comme cet esprit est celui de la société telle qu’elle est faite, que faut-il penser de l’ordre social en Angleterre?