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compter en Europe, il ne lui restait qu’à se mettre en révolution; pour se relever, elle n’avait plus qu’à se perdre. Les institutions représentatives, qui ont tant d’ennemis, en ont maintenant d’une nouvelle sorte : ce sont leurs amis. Ceux-ci pensent devoir à leur mérite de ne croire ni à leur force ni à leur durée. Ils regardent comme nécessaire à la beauté de la chose qu’elle ne subsiste pas, et pour en faire un idéal, de la déclarer impossible. Que voulez-vous? On tient à ce que tout le monde soit malade de la maladie à laquelle on a succombé; il faut que personne ne réussisse parce qu’on a échoué. A entendre quelques-uns de ceux qui vantaient le plus l’Angleterre, on les croirait impatiens de changer le panégyrique en oraison funèbre. Qu’y avait-il cependant de si fort extraordinaire dans les événemens de l’an dernier? Dut-on accepter sans rabais les dépositions de la presse, cette grande exagératrice, l’habitude de prospérités inouies a pu seule rendre l’Angleterre si prompte à prendre l’alarme. Que dans une première campagne, après une longue paix, une armée montre quelque inexpérience, que l’instruction des soldats, que l’administration militaire laisse quelque chose à désirer, que l’Angleterre, absorbée depuis trente ans par les questions les plus grandes de la législation intérieure et de l’ordre économique, ait négligé de dresser à l’avance ses troupes à débarquer et à bivouaquer en Crimée : un tel malheur peut entraîner des pertes douloureuses, mais ne saurait surprendre ni abattre l’orgueil d’une nation. Plus d’une fois l’Angleterre a commencé par des revers une guerre qu’elle devait tout autrement finir. Ce n’est pas à nous de lui rappeler ces souvenirs-là. Elle sait son histoire, et nous n’aimerions pas à la lui raconter; elle y verrait qu’elle n’a jamais éprouvé d’échec ou rencontré d’obstacles sans accuser ses généraux et ses ministres plutôt qu’elle-même. Elle ne s’en est pas prise aux institutions, mais aux hommes. Souvent même, abusant du principe de la responsabilité, le poussant jusqu’à l’injustice, elle a par des rigueurs parlementaires montré que pour servir un peuple libre il ne suffit pas d’être habile, il faut être heureux. Après tout, une grande guerre à conduire est chose si difficile, elle exige non-seulement des généraux, mais des administrateurs même, un déploiement si extraordinaire de calcul et d’activité, de dévouement et de vigilance, de prévoyance et de travail, que je me sens porté à excuser l’emploi, même rigoureux, de toute la pénalité constitutionnelle, quand il s’agit d’obtenir les grands sacrifices au prix desquels s’achètent les grandes victoires.

Or cette fois la question ministérielle a bien été posée, et en janvier 1855 elle a été résolue contre le ministère; mais lui-même paraissait faiblement désireux de se maintenir, et ses adversaires n’étaient pas bien animés. Les haines politiques sont fort calmées en