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reste de l’Europe ? Quelque retentissement qu’ait dû avoir la chute de Sébastopol, rien de décisif n’apparaît encore en Allemagne. La Prusse seule semble avoir eu la velléité d’élever une parole pacifique entre les combattans. La chimère, l’illusion de la Prusse, c’est d’entraîner l’Allemagne dans une sorte de médiation. Une fois de plus le cabinet de Berlin parait avoir fait dans ce dessein quelques suggestions à Vienne. L’Autriche a dû répondre qu’une interposition supposait la neutralité, et qu’elle était l’alliée de l’Occident. N’est-il pas évident au surplus que ce n’est point par une médiation, surtout par la médiation prussienne, que la paix peut se rétablir aujourd’hui ?

Chose singulière, au milieu de tous les bruits de la guerre, le pays dont on s’occupe le moins, c’est celui qui a été la première cause de ce grand conflit : c’est la Turquie. Et pourtant, en dehors de la part que l’empire ottoman prend à la guerre, Constantinople est depuis quelque temps le théâtre de la plus étrange lutte d’influences. Le sultan, après avoir disgracié et exilé, il y a quelques mois, Méhémet-Ali-Pacha, son beau-frère, l’a rappelé tout à coup et l’a élevé au ministère. Or c’est là ce que l’ambassadeur britannique, lord Stratford Redeliffe, a paru considérer comme un empiétement direct sur son autorité propre. Ambassadeur depuis longues années à Constantinople, lord Redcliffe s’est fait des habitudes quelque peu despotiques, qui l’ont rendu peut-être aussi antipathique aux Turcs que le prince Menchikof même ; il s’est accoutumé à ne point voir les cabinets changer sans son aveu. Très hostile à Méhémet-Ali-Pacha, il n’a point voulu le reconnaître comme ministre du sultan, et il refuse encore d’entrer en relations avec lui. Lord Redcliffe, en agissant ainsi, ne représente point sans doute l’opinion de son gouvernement ; il est même présumable que, s’il est resté jusqu’ici à Constantinople, c’est en considération de sa grande connaissance de l’Orient et sans doute aussi de convenances parlementaires. C’est cependant une situation qui ne saurait se prolonger. Il en peut résulter des tiraillemens fâcheux et de plus graves conséquences encore dans la conduite des affaires, par suite une diminution d’influence pour l’Europe. L’Angleterre et la France ne peuvent scinder leur action à Constantinople, lorsqu’elles restent unies par tant d’intérêts, lorsqu’au moment présent encore elles suivent la même politique dans deux questions qui sont pour ainsi dire une dépendance de la question orientale : ce sont les affaires de Naples et de la Grèce.

Comment s’est produit le démêlé avec Naples ? On le sait déjà, il est né de l’étrange système intérieur suivi par le gouvernement napolitain et du mauvais vouloir, plus étrange encore, manifesté par lui à l’égard des puissances occidentales. Le roi de Naples est dans une situation dont il est impossible de méconnaître la gravité. Il est menacé par les passions révolutionnaires qui fermentent en Italie. De tous les souverains de la péninsule, c’est celui qui soulève les haines les plus vives et les plus acharnées. Plus cette situation est difficile, plus il semble que la prudence était nécessaire. Le gouvernement napolitain met au contraire un zèle bizarre à aggraver les difficultés, à accroître les mécontente mens par des vexations de police ; puis, comme si cela n’était point assez, il s’est jeté dans une voie d’hostilité sourde contre l’Angleterre et la France, tantôt par des mesures commerciales restrictives,