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inébranlable fermeté. En même temps le redan du Carénage était attaqué avec une égale vigueur par nos divisions, qui franchissaient la première enceinte et se portaient jusqu’à la seconde ; mais là, décimées par le feu des bateaux à vapeur de la rade et de l’ouvrage de la maison en croix, elles étaient forcées de se replier sur la première enceinte.

Au moment où toutes ces opérations étaient engagées, le drapeau français, flottant au-dessus de Malakof, donnait, aux Anglais et à la division du côté gauche du siège le signal de l’attaque. Les Anglais enlevaient d’abord le saillant du grand redan, et après une heure de lulte sanglante, ils étaient obligés de se retirer, tandis que la division lancée contre le bastion central, après un premier succès, devait céder aussi de son côté à un feu de mitraille qui mettait hors de combat plusieurs généraux. Le principal objet de ces attaques était d’ailleurs atteint. Désormais l’effort suprême était à Malakof, occupa par nos troupes et invinciblement défendu contre tous les retours de l’ennemi. Les scènes terribles, l’intrépidité, l’intelligent héroïsme, n’ont pas manqué assurément sur cet immense champ de bataille. Dans l’une des attaques, c’est une colonne tout entière, son général en tête, qui disparaît dans une formidable explosion. Ici, c’est une batterie de campagne qui vient audacieusement prendre position en face des remparts pour soutenir les assaillans, et dont les canonniers se font tuer dans cette lutte inégale contre l’artillerie de la place. Partout c’est la même émulation d’ardent courage et de vigueur entre tous ces soldats, dont beaucoup étaient des conscrits qui arrivaient de la veilie et qui voyaient le feu pour la première fois. Le dernier mot de ce drame émouvant, c’était la prise de possession définitive de Malakof. Le soir venu, tout était accompli ; le dernier effort des Russes était allé se briser contre nos bataillons, et alors se déroulait ce spectacle d’une ville incendiée par ses maîtres eux-mêmes. Les flammes de Sébastopol éclairaient ce champ de bataille encore sanglant. Les principaux établissemens sautaient. Dans le port, la flotte était tout entière brûlée ou coulée. Le matin, après cette œuvre de destruction, qui n’a pu cependant être achevée, les Russes avaient quitté, la ville et s’étaient retirés au nord de la rade. La prise de Malakof avait décidé du sort de Sébastopol sans nouveau combat.

Cette grande et héroïque journée a sans doute sa liste funèbre. Cinq généraux ont succombé dans la lutte : ce sont les généraux Rivet, Breton, Pontevès, de Saint-Pol et de Marolles ; dix ont reçu des blessures dont quelques unes sont heureusement légères. Vingt-quatre officiers supérieurs ont été tués et vingt blessés. Plus de sept mille hommes ont été mis hors de combat. Les Anglais de leur côté ont eu plus de deux mille morts ou blessés. Qu’on ajoute à toutes ces victimes celles qui sont tombées depuis le commencement du siège : le génie seul a eu trente et un officiers tués et trente-trois blessés. Parmi les morts sont le général Bizot, un lieutenant-colonel, six chefs de bataillon, vingt capitaines et trois lieutenans. Il y a des compagnies de sapeurs qui en sont à leur quatrième capitaine. Le nombre considérable d’officiers atteints, et, dans la dernière affaire le nombre d’officiers supérieurs restés sur le champ de bataille dénotent l’héroïsme avec lequel les chefs de notre armée conduisent leurs soldats. C’est là le côté lugubre