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statistique dont on propose l’exécution ont exclusivement pour but de fournir aux producteurs, aux négocians et aux consommateurs, c’est-à-dire au pays tout entier, l’exposé fie la situation alimentaire de chaque année. Or il est bien évident que cette façon d’envisager et de pratiquer la statistique est de beaucoup la plus utile, et qu’elle mérite d’être recommandée à l’attention de tous les gouvernemens.

Un économiste distingué, M. Leone Levi, mandé devant le comité des lords, a parfaitement exposé les avantages qui résulteraient de la statistique agricole, dans l’intérêt de l’alimentation populaire, de l’industrie, du commerce et de l’agriculture elle-même. L’Angleterre est obligée, chaque année, de demander à l’importation étrangère le complément de ses approvisionnemens. De 1840 à 1846, l’importation annuelle des grains a été en moyenne de 3 millions de quarters[1]; de 1847 à 1853, cette moyenne s’est élevée à 9 millions et demi de quarters. On sait par l’expérience que le prix du grain est en quelque sorte le baromètre sur lequel se règle la hausse ou la baisse de tous les autres articles, ainsi que la situation du marché monétaire. Or comment se détermine aujourd’hui le prix du grain? A l’aide d’impressions values et d’informations sommaires recueillies par un petit nombre de négocians ou de spéculateurs qui très souvent sont intéressés à faire circuler de fausses nouvelles, pour faciliter soit leurs achats, soit leurs ventes. On n’ignore pas qu’il y a déficit et que l’on devra introduire des céréales étrangères, mais dans quelle proportion? Si l’on se trompe sur l’importance du déficit et que l’on tarde à envoyer les commandes au dehors, les prix haussent brusquement, et l’approvisionnement devient d’autant plus difficile que d’une part les autres pays ont pris les devans pour faire leurs achats sur les marchés abondamment pourvus, et que d’autre part, les navires disponibles ne suffisant pas au transport simultané de fortes cargaisons de grains, le fret s’élève à un taux exagéré. En même temps, le numéraire sort du pays par grandes masses, et l’équilibre du marché monétaire est sensiblement affecté au détriment du commerce et de l’industrie. Quant au fermier, il ne profite pas de la hausse, car il a vendu ses grains avant que le déficit ne fut constaté, et il éprouve le dépit de voir les spéculations réaliser sur le produit de ses récoltes de larges bénéfices dont il eût été plus juste que son travail fût rémunéré. Si au contraire on pouvait, à l’aide d’informations inspirait confiance et recueillies par l’entremise désintéressée du gouvernement, se former chaque année une idée à peu près exacte des ressources alimentaires, le commerce prendrait, en temps utiles, ses dispositions pour l’achat au dehors, les prix s’établiraient dès l’origine à leur véritable taux, on ne verrait plus les oscillations si brusques qui se manifestent sur le marché des céréales et qui mettent en état de crise toutes les branches d’industrie; le commerce des grains échapperait aux soubresauts irréguliers de la spéculation, et ce serait le cultivateur qui profiterait de la hausse normale dont jouissent toutes les marchandises, y compris les céréales, lorsque la demande excède l’offre. Tel serait le résultat de l’enquête agricole, non pas minutieuse et compliquée, telle que la science pure l’exigerait, mais approximative et rapide, telle que les esprits pratiques de l’Angleterre voudraient l’obtenir annuellement.

  1. Le quarter = 2 hectolitres 90 centilitres.