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A quatre heures, le neveu Lucien n’était pas arrivé ; les autres convives liaient réunis. M. le contrôleur Dulimbert était dans les transes. Il prit sa montre et compta quinze inimités. — Le quart d’heure de grâce est expiré, dit-il en décrivant un demi-cercle avec sa montre. Voyez : seize minutes ; un Bréguet ! Nous courons sur les dix-sept. Je suis d’avis d’attendre notre jeune ami à la manière des bons aïeux, les pieds sous la table.

Le lieutenant aurait voulu gagner encore une dizaine de minutes, mais la Zounet arriva sur la terrasse le visage en feu, les poings fermés, la coiffe à l’envers. — Vous êtes servis, dit-elle, je ne veux pas que tout brûle ; si vous n’arrivez pas, je vais inviter les chats.

Les convives impatiens coururent au salon, et M. Cazalis les suivit lentement, en braquant une dernière fois sa lunette marine du côté de la route de Lamanosc.

Vers six heures, au sortir de table, le lieutenant se remit en vigie à l’angle de la terrasse ; un groupe s’était formé autour de M. Corbin aîné, qui racontait ses exploits de chasse ; le maire se promenait à grands pas en maugréant, et le plus jeune des Corbin traçait des courbes sur le sable.

— Messieurs, messieurs, dit le lieutenant, voici un brillant cavalier qui tourne le bois de Lubat. Je gage que c’est le neveu, attention !

— Je l’ai vu avant vous, dit Tirart, mes yeux valent bien vos lunettes.

— Le voilà aux peupliers, reprit M. Cazalis, il met sa bête au galop. Savez-vous qu’il est très bien en selle ? Notre ami Marius, vous avez là un joli cheval pie ; je ne vous le connaissais pas.

Le maire était déjà dans l’allée et criait à pleins poumons : Cadet ! cadet ! Il arrêta net le cheval lancé au galop, puis il saisit Lucien par les hanches, l’enleva et l’embrassa rudement après avoir jeté la bride au paysan qui chevauchait derrière en grand costume de laquais.

— Le voilà, le voilà ! dit-il en lançant son neveu dans les bras du lieutenant, qui s’avançait le chapeau à la main.

Lucien s’excusa en très bons termes d’arriver si tard ; M. Cazalis le prit aussitôt en amitié. En tournant la haie, M. Marius marcha sur le pied de son ami et l’interrogea du regard ; le lieutenant passa son bras derrière Lucien, serra la main du maire et hocha la tête en signe de grand contentement.

La compagnie s’était levée ; le maire prit son neveu par la main et le présenta en grande cérémonie à tous ses amis. A chaque salut du neveu, M. Dulimbert se penchait à l’oreille de Mlle  Blandine et disait : — Parfait, parfait ! Cet air anglais me plaît bien.

M. Tirart était déjà très près de M. Dulimbert, dos à dos ; le