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plié dans un panier, et le terrailler descendit dans la cour, le paquet sous le bras, un bout de miroir à la main. L’ânesse était à la porte, sanglée et bridée. Espérit n’eut qu’à l’enfourcher, et la Cadette partit au trot sur la route de la Pioline.

La Pioline est une gentilhommière démantelée où l’on élève à foison toutes sortes de bêtes : entre l’étable et la ferme, les porcheries ; autour du corps de logis s’adossent et montent les maisonnettes des chèvres, des Lapins, des oies, des canards. Un gros et tortueux mûrier, planté sous Henri IV, sert de retraite aux dindons ; les paons voyagent des platanes de l’allée aux marronniers de la grande terrasse. Aux corniches des toits, sur les cheminées, aux lucarnes des greniers, des pigeons par centaines ; des ruches dans les jardins ; dans les cours, des bandes de coqs russes, de poules, de pintades, des lièvres privés et des perdrix familières qui souvent viennent picorer sur les tables du salon ! Tout ce petit monde remue, s’anime, s’agite et tourne sans cesse, dès qu’on ouvre une porte, une fenêtre, les bêtes arrivent par volées : ce ne sont que cris et battemens d’ailes, fourmillemens de pattes, de becs et de queues. A tous les angles des murailles, on voit des poussinières, des cages, des volières. A l’arrière du chenil, un jeune renard, donné par Perdigal, traîne et secoue sa chaîne ; vis-à-vis, dans une loge grillée, sont deux loups pris au piège par le chasseur Malaterre ; enfin, près des serres des terrasses inférieures, on garde les animaux rares que les officiers de marine envoient, au retour de leurs voyages, à leur ami Cazalis, le seigneur de la Pioline, — le lieutenant de vaisseau Jean-de-Dieu Cazalis, ancien commandant de la Ville-de-la-Ciotat.

— On ne saura jamais ce qu’il y a de bêtes à cette Pioline, dit un jour le petit pâtre Cascayot, c’est pis qu’une arche de Noé ; quand les pigeons s’y envolent, le soleil en est noir. — De là le mot d’Arche-de-Noé, employé aussi communément que celui de Pioline par les paysans, grands donneurs de surnoms.

A la montée des Mourgues, Espérit se cacha dans un bouquet de romarin et fit sa toilette.

— Voici l’évêque des cigales, dit la servante Zounet, qui faisait de l’herbe pour ses lapins, à grands coups de faucille dans les fossés. Oh ! le bel astre ! Spiriton, tu es beau comme un soleil ! Tu vas donc à la noce ? Il te manque les rubans et le bouquet. Si c’est moi que tu viens demander en mariage, je t’avertis qu’il faudra que tu m’habilles en dame.

— Salut ! la Zounet, dit Espérit, le lieutenant est-il de bonne humeur ?

Mais toujours, répondit la servante. Crois-tu que nous soyons comme toi, des têtes virées ? Si tu veux le voir, descends à