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l’auteur aucune originalité de pensée, dont l’exécution n’atteste pas une sérieuse étude du modèle vivant. Avoir chaque jour devant les yeux le musée des Studj avec ses merveilles sans nombre, avec ses bronzes d’Herculanum, de Pompeï et de Stabia, et ne rien produire de plus élevé! Comment cette terre chérie du soleil est-elle arrivée à cette déplorable stérilité? Quand on se rappelle la pensée de Montesquieu et de Herder sur les relations du climat avec le développement intellectuel des nations, relations que l’histoire confirme, on a peine à s’expliquer une telle anomalie. Pour en pénétrer la cause, il faut oublier l’aspect du ciel et de la mer, les lignes harmonieuses des montagnes, et interroger des faits d’une autre nature.

Venise et Milan occupent ils au palais des Beaux-Arts un rang plus élevé que Rome, Naples et Florence? Je voudrais pouvoir l’affirmer, mais il faut bien se rendre à l’évidence. Pour la peinture, je ne trouve rien qui mérite même une mention. Dans la statuaire, j’ai à signaler des efforts dignes d’encouragement; mais les efforts les plus sincères, les plus énergiques n’ont pas la valeur d’une œuvre accomplie. Le premier Sentiment d’amour de M. Bazzoni, l’Armide de M. Bettinelli, sont demeurés à l’état de bonne intention : leur main n’a pas obéi à leur pensée. M. Cacciatori, qui a fait pour l’arc de la Paix, près de Milan, des chevaux que tous les connaisseurs se plaisent à louer, s’est montré inférieur à lui-même dans les sujets qu’il a traités cette année. L’Enfant Jésus dans une corbeille de fleurs n’est qu’une œuvre mignarde. Quant à M. Marchesi, qui jouit à Milan d’une autorité singulière, qui occupe sans relâche une trentaine d’élèves et un nombre égal de praticiens, les uns modelant la glaise, les autres taillant le marbre sous sa direction souveraine, et qui se prendrait volontiers pour un artiste de premier ordre en supputant le nombre et l’importance de ses travaux, je crois qu’il a commis une faute grave en paraissant à l’exposition universelle des beaux-arts. Tant qu’il ne sortait pas de Milan, il était protégé contre les sceptiques par les commandes officielles qui lui venaient de Vienne. Ceux qui pouvaient mesurer son talent ne formaient qu’une minorité dont il pouvait se jouer. Aujourd’hui tout est changé pour lui. Le voilà seul, abandonné à ses propres forces, condamné à soutenir les regards de toutes les nations qui se sont donné rendez-vous à Paris. Le Sauveur, une Bacchante et l’Amour fraternel montrent clairement ce qu’il peut faire, et le rang qui lui appartient est facile à déterminer. Il occupe tant d’élèves et de praticiens, qu’on aurait peine à dire la part personnelle qui lui revient dans les œuvres signées de son nom. A proprement parler, c’est plutôt un entrepreneur qu’un statuaire. Cependant il ne peut décliner la responsabilité des figures qui se produisent sous son patronage. Or, pour les juges les plus