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contestée par les hommes de bonne foi, et j’ajouterai par les hommes vraiment éclairés, nous présente une série d’œuvres très dignes d’estime assurément par l’expression du sentiment religieux, mais incomplètes au point de vue de la science. La Vierge byzantine placée à Rome sur le maître-autel de l’église appelée Bocca della Verità, les Prophètes de Cimabuë dans la crypte de San-Miniato, les fresques de Giotto à Sainte-Marie all’ Arena de Padoue, exciteront toujours une véritable admiration. Ce n’est pourtant pas à ces ouvrages qu’il faut s’adresser pour établir les principes fondamentaux de la peinture. Le cimetière de Pise, malgré les merveilles qu’il renferme, n’est pas non plus une source d’enseignemens qui puisse dispenser de puiser à des sources plus fécondes. Les inventions terribles des Orcagna, les inventions ingénieuses de Benozzo Gozzoli ne sont pas le dernier mot de l’art italien. Il faut interroger les cinq grands maîtres qui expriment sous la forme la plus pure le génie de cette terre privilégiée : Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël, Titien et le Corrège. Quand on les connaît bien, quand on a contemplé à loisir toutes les œuvres créées par leur pinceau, alors, mais alors seulement, on sait ce que vaut l’Italie, ce qu’elle signifie dans le développement de l’imagination humaine. Jusque-là il n’est pas permis d’en parler, car on n’est pas compétent dans la question. On peut mesurer les déviations du goût public à l’estime dont jouit l’Italie. Quand son crédit s’affaiblit, soyez sûr que le sentiment de la beauté s’affaiblit en même temps ; quand son crédit se relève, affirmez sans crainte que le sentiment de la beauté se réveille : c’est un signe qui ne vous trompera jamais. On a souvent parlé, on parlera souvent encore des franchises de l’art, et parmi ces franchises on a voulu compter le dédain de l’Italie : c’est là une aberration qui n’a pas besoin d’être discutée. Dans le domaine de l’art, le mépris de la tradition n’est pas une preuve de force. Ceux qui proclament si haut leur indépendance ignorent presque toujours ce qu’ils prétendent dédaigner. Prenez la peine de les interroger, comme Socrate interrogeait les esprits forts d’Athènes, et voici ce que vous trouverez au fond de leur intelligence : ce que je ne sais pas n’est pas ; c’est exactement comme si je le savais. Et si d’aventure il s’en rencontre un sur mille qui connaisse ce qu’il dédaigne, ce n’est pas une preuve de supériorité, mais d’infirmité ; c’est qu’il a vu sans comprendre.

Pour éclairer ces aveugles, obstinés dans leur cécité, qui repoussent la lumière et ne veulent pas ouvrir les yeux, je n’ai qu’à nommer les deux maires qu’ils ont choisis pour guides, et dont ils proclament en toute occasion l’indépendance absolue : Rubens et Rembrandt. Ni l’un ni l’autre ne dédaignaient l’Italie. Le premier l’a bien prouvé par son séjour prolongé sur cette terre savante. Quant