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une œuvre personnelle que son jugement ait été mûri par l’étude des grands maîtres. Si telle est sa pensée, il ne doit pas s’en tenir à Murillo. Il y a sans doute beaucoup à gagner dans le commerce de ce maître passionné, qui a su exprimer le sentiment religieux sous une forme si attrayante. Cependant, malgré la puissance et le charme de son pinceau, il ne saurait être comparé aux cinq grands maîtres de l’Italie, et M. Hortigosa, s’il veut compléter ses études, fera bien de s’adresser à eux. Le Spasimo du Sanzio placé au musée de Madrid lui en apprendra plus que Murillo pour l’interprétation de la forme humaine. Toutefois, lors même qu’il s’en tiendrait à l’étude du maître espagnol, j’ai la ferme confiance qu’il ne ferait pas fausse route, car un œil si attentif, une main si docile promettent un peintre de talent.

D’après MM. Madrazo, Ribera et Hortigosa, nous pouvons estimer l’état présent de la peinture espagnole. Il est évident que le goût n’est pas ce qui domine à Madrid. M. Madrazo, pour me servir d’une expression vulgaire, tient le haut du pavé. C’est lui que prônent les femmes de la cour, c’est lui qu’on cite dans les salons comme l’interprète le plus habile de l’élégance et de la splendeur. Ni M. Ribera ni M. Hortigosa ne jouissent de la faveur publique. La simplicité de leurs œuvres ne rallie qu’un petit nombre de suffrages. Qu’ils s’en plaignent, je le conçois; mais ils auraient grand tort de s’en étonner. Ce qui se passe aujourd’hui à Madrid s’est déjà vu à Paris, à Londres, même à Rome et à Florence, malgré le Vatican et le Capitole, malgré le palais des Offices et le palais Pitti, dont les protestations permanentes n’étaient pas entendues. Le triomphe et la popularité de M. Madrazo signifient à Madrid ce que signifiaient à Florence et à Rome le triomphe et la popularité de Sabatelli et de Camuccini, — l’affaiblissement ou du moins l’égarement momentané de l’intelligence publique à l’égard de toutes les questions qui se rattachent à la beauté. J’espère pourtant que l’Espagne abandonnera M. Madrazo pour Murillo et Velasquez, comme elle a renoncé à Gongora pour Cableron et Cervantes, comme l’Italie a renoncé à Marini pour Dante et l’Arioste. C’est une maladie qui ne tiendra pas contre les remontrances et les railleries. Si notre espérance était déçue, si le règne de M. Madrazo durait seulement quelques années, c’en serait fait pour longtemps du goût et du bon sens de l’Espagne. Que notre vœu s’accomplisse donc dans un avenir prochain !


Il serait inutile de rappeler ici les origines de l’école italienne, qui n’offriraient qu’un intérêt purement archéologique Depuis les byzantins jusqu’à Giotto, depuis Giotto jusqu’à Fra Angelico, cette école, dont la supériorité sur toutes les autres ne saurait être