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dédain pour ces portraits où la grâce est remplacée par l’afféterie. Comment prendraient-ils au sérieux M. Madrazo, à moins de renier leurs souvenirs?

M. Ribera, dans le portrait du marquis d’Alcanices, a montré un talent plus sérieux que M. Madrazo. Il ne jouit pas dans son pays de la même popularité, mais il fait honneur aux leçons de son père et à celles de son second maître, M. Paul Delaroche. Le visage du modèle est traité avec un grand soin, et s’il n’a pas toute la fermeté qu’on pourrait souhaiter, on sent du moins que l’auteur a fait tout ce qui dépendait de lui pour rendre ce qu’il voyait. Ce n’est pas que ce portrait me paraisse à l’abri de tout reproche. Si les yeux et la bouche sont modelés avec finesse, le torse et les membres ne se laissent pas assez clairement deviner. L’intention de M. Ribera n’est pas douteuse : il a voulu exprimer une nature grêle et un peu sénile; mais je crains qu’il n’ait dépassé le but. On ne sent ni la poitrine sous le gilet, ni les cuisses sous la culotte de cour. Ce qui me paraît excellent dans ce portrait, ce qui lui donne un caractère original, c’est le regard attentif du modèle, qui semble guetter les moindres mouvemens du spectateur. Le portrait du marquis d’Alcanices ne possédât-il que ce seul mérite, il faudrait le louer avec empressement, car ce mérite n’est pas vulgaire : on trouve sans peine des peintres qui savent imiter les étoffes, on en trouve plus difficilement qui savent imiter le regard. D’ailleurs M. Ribera traite les étoffes avec autant de soin et plus de vérité que M. Madrazo. Il ne cherche pas, comme lui, à éblouir les yeux par l’éclat des couleurs, il vise plus haut, il vise à l’harmonie, et tous les hommes de goût lui donneront raison. Aussi j’échangerais de grand cœur tous les portraits envoyés par M. Madrazo contre le portrait du marquis d’Alcanices, car en peinture comme en poésie je mettrai toujours la partie humaine en première ligne, et c’est pour cette raison que je suis loin de partager l’enthousiasme des femmes à la mode pour les peintres qu’elles prennent sous leur protection. L’imitation d’un ruban ou d’une dentelle les ravit en extase; elles rougiraient de leur admiration, si elles savaient comment se font les dentelles dans plus d’un atelier. A peine ont-elles pris congé du peintre qu’elles prônent, que, sous prétexte de ne pas les fatiguer inutilement, il ajuste la robe sur un mannequin, et pour être sûr de reproduire fidèlement le point de Matines, d’Alençon ou de Chantilly, il imprime sur sa toile ce qu’il devrait copier. Un bout de dentelle appliqué sur le blanc de plomb suffit à réaliser le prodige enfantin qui les émerveille. J’ignore si M. Madrazo a recours au procédé que je rappelle, et que j’ai vu pratiquer plus d’une fois. J’apprendrais sans étonnement qu’il ne le dédaigne pas. Pourquoi la robe de la duchesse de Medina-Cœli ne