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de s’y opposer, si tant est que leurs efforts fussent bien sincères. Ce qui est plus grave encore, c’est l’évidente complicité de la compagnie du transit dans toute cette affaire. Or la compagnie du transit dispose de grandes ressources ; elle a des établissemens considérables sur les points les plus importans de l’isthme ; ses bateaux à vapeur sillonnent le fleuve et le lac de San-Juan ; elle a eu l’année dernière, on le sait maintenant, assez d’influence à Washington pour déterminer le gouvernement fédéral à envoyer à Greytown l’expédition qui a détruit cette ville. Tout cela indique une partie bien liée, et si Walker possède quelques-unes des qualités de l’organisateur politique, soutenue par l’émigration de la Californie, cette singulière révolution pourra se consolider. Au reste, on peut juger de la confiance qu’ont en eux-mêmes les flibustiers et ceux qui les ont appelés par la prétention, qu’ils ne dissimulent pas, d’expulser de Greytown leur compatriote le colonel Kinney, dont tout le crime est de n’avoir pas aveuglément épousé les passions de la compagnie du transit, et d’avoir promis qu’il poursuivrait à Washington la réparation du préjudice causé aux habitans par les canons du capitaine Hollins. C’est se poser en maîtres, et en maîtres intolérans.

Nous n’irons pas plus loin : peut-être au premier moment apprendrons-nous un coup de main comme celui de Walker pour forcer l’entrée de l’Amazone ; mais à chaque jour suffit sa peine, et nous croyons en avoir assez dit pour prouver que la race anglo-américaine, grossie par tout ce qui n’a pas trouvé sa place au soleil en Europe, ne perd pas son temps dans le Nouveau-Monde, et qu’il faudra bientôt s’en occuper. Heureusement elle éparpille ses forces. Si elle les concentrait dans une seule direction bien choisie, il serait déjà trop tard pour arrêter le flot dont elle menace de couvrir des populations qui conspirent à leur propre perte avec leur plus redoutable ennemi. ch. de mazade.



DANTE ET LES ORIGINES DE LA LANGUE ET DE LA LITTERATURE ITALIENNES[1]. — Ce fut le sort de M. Fauriel de devancer sur presque tous les points les investigations de la critique moderne dans le vaste champ de l’histoire littéraire, et de ne recueillir presque jamais aux yeux du public le bénéfice de ses créations. Passionné pour la recherche, plus soucieux de trouver que de mettre en œuvre, il reculait trop souvent devant le pénible travail de la composition, et, entraîné par son ardente curiosité, il ne songeait guère à se faire lui-même l’interprète de ses propres découvertes. Faut-il s’en plaindre, et son action sur le mouvement des esprits en a-t-elle été diminuée ? Non, certes. Débarrassé de la préoccupation du style et des immenses sacrifiées de temps et de pensée que coûte le soin d’écrire, il put avec une entière liberté poursuivre les nombreuses séries de recherches que la sagacité de son esprit lui révélait. Accueillies par des disciples ingénieux, ses idées fructifiaient entre les mains d’autrui, et c’est ainsi que, sans avoir beaucoup écrit, M. Fauriel est sans contredit l’homme de notre siècle qui a mis en circulation le plus d’idées, inauguré le plus de branches d’étude,

  1. 2 volumes in-8o ; Paris, chez Durand.